MORT D’ABEILLES EN MONTÉRÉGIE

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Après avoir essuyé un refus catégorique de notre gouvernement de nous partager les résultats d’analyse des millions d’abeilles qui sont soudainement mortes en Montérégie il y a un an maintenant, nous avions 30 jours pour contester la décision.

Vu que l’on juge d’intérêt public le fait de savoir pourquoi au juste ces merveilleuses bestioles ont crevé subitement en l’espace de 10 jours l’an dernier sans raison évidente, on s’est fait plaisir en expédiant une lettre étoffée au ministère pour le convaincre de revenir sur sa décision, qui soulevait, entre autres, la notion du « secret industriel » afin de justifier son refus.

« En fait, l’information que nous vous demandons de partager est tout le contraire d’un “secret industriel” et demeure avant tout d’intérêt public, explique-t-on. Dans un monde où notre environnement naturel est de plus en plus fragilisé, les Québécois et Québécoises ont certes le droit de savoir ce qui se trouve dans l’air, dans leur eau, dans leurs sols — surtout quand des millions d’abeilles décèdent sans avertissement, en plein été. À titre de comparaison, si l’on découvrait des millions de poissons morts sur les rives du Saint-Laurent un matin, on est en mesure de croire que les citoyens auraient droit, un an plus tard, à des explications de la part de leur gouvernement et à un certain niveau de transparence. »

LES ABEILLES CONTINUENT DE TOMBER COMME DES MOUCHES

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Consternation en Montérégie cette semaine alors qu’un apiculteur de la région perdait pas moins de 600 ruches, soit l’équivalent de millions d’abeilles.

Les maudits pesticides néonicotinoïdes seraient en cause, et le gouvernement du Québec, selon les dires du ministre de l’Agriculture André Lamontagne en entrevue, ouvrirait une enquête pour obtenir plus de détails.

Mais ce qui est le plus surprenant dans cette triste nouvelle n’est pas de voir un pauvre apiculteur se retrouver un matin confronté à une plaie d’Égypte alors qu’une pluie d’abeilles mortes envahit ses champs.

Non, ce qui est le plus incroyable c’est que, devant l’étendue du problème qui n’est certes pas nouveau, on soit toujours incapable de s’activer afin de protéger ces indispensables créatures une fois pour toutes.

Des exemples ?

  • + En 2018, on rapportait déjà un désastre écologique dans les populations d’abeilles si bien qu’on estimait la perte de la moitié des abeilles au Canada.
  • + En 2019, un nouveau rapport du Ministère de l’Environnement du Québec révélait une « augmentation significative » de la présence de pesticides, comme le glyphosate et les néonicotinoïdes, dans les rivières de la province.
  • + Et finalement, plus tôt cette année on vous parlait de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) qui déposait un rapport au gouvernement, avec 32 recommandations visant les pesticides. Même si certains intervenants à la commission refusaient de faire un lien entre les pesticides et le déclin des abeilles, on mentionne quand même dans le rapport qu’« il ressort des témoignages, des mémoires et des autres documents reçus plusieurs exemples de liens entre l’exposition aux pesticides et des effets nocifs, notamment, sur la faune vertébrée et invertébrée (par exemple, amphibiens, abeilles et invertébrés aquatiques) ».

Et comme on le rapportait l’an dernier, la menace pour les abeilles est mondiale.

Bref, on a beau se targuer de vouloir réinventer la ferme avec une nouvelle politique agricole, de revoir nos techniques d’agriculture et notre relation avec la Terre ; et on a beau se croire bon avec toute l’innovation technologique du monde pour faire pousser nos légumes à longueur d’année dans l’eau, dans les airs ou sur des toits.

Mais plus du tiers de notre bouffe dépend directement des pollinisateurs.

Donc, si on n’a plus d’abeilles, tout ça n’est que du vent. Et tout cela part au vent, aussi.

(publié le 12/06/ 2020)

Les abeilles tombent comme des mouches

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Lorsqu’on arpente allègrement les allées de notre supermarché préféré ou de notre jardin, on a tendance à oublier un fait biologique très important : le tiers de toute la bouffe que l’on consomme dépend directement d’une bestiole poilue à rayures.

On parle ici évidemment de l’abeille — et non de la créature sournoise qui se cache sous votre lit depuis l’âge de 6 ans (vous savez de laquelle on parle).

Car en effet, pas de pollinisation pas de fraises. Pas de brocoli. Pas grand-chose, en fait.

Voilà pourquoi il était particulièrement alarmant d’apprendre cette semaine que pas moins de 500 millions d’abeilles sont mortes au Brésil au cours des trois derniers mois, principalement à cause de l’utilisation de pesticides. Et le bilan n’est plus plus reluisant ailleurs :

  • + En Russie le mois dernier, 300 000 colonies d’abeilles sont mortes. Le chef de l’association des apiculteurs au pays à déclaré en panique : « Nous devons les protéger comme si elles étaient saintes. » (Amen).
  • + En août dernier, on vous rapportait qu’un parasite microscopique sournois au nom vraiment épeurant — le Varroa destructor— décimait des colonies entières d’abeilles en Californie.
  • + Et au Canada, selon l’Association canadienne des apiculteurs, le quart des abeilles n’ont pas survécu à l’hiver dernier. Pourquoi ? On mentionne notamment la météo, le même parasite et aussi des virus.

Qu’est-ce qu’on peut faire ? Chez nous, des petites choses toutes simples comme ne pas tondre son gazon trop souvent (facile), faire un jardin, éviter l’utilisation de pesticides et ne pas se mettre en mode « Terminator » quand on aperçoit un essaim d’abeilles.

Sur le plan collectif, dans son Code de gestion des pesticides du 1er avril, le gouvernement québécois a finalement restreint la vente et l’usage des pesticides « tueurs d’abeilles » au Québec. Même chose au Canada.

Mais voilà qu’à peine deux mois après la nouvelle réglementation, le ministère de l’Environnement du Québec accordait exceptionnellement une dérogation qui permettait aux agronomes d’ignorer les nouvelles règles.

Ce qui nous ramène au point de départ et à notre conclusion. Dans ces tristes dossiers qui affectent notre bouffe, notre quotidien et nos vies, il semble qu’on soit tous pertinemment conscients du problème et, dans plusieurs cas, des gestes à poser pour le régler. Que cela soit la mort des abeilles ou les réchauffements climatiques, on connaît les causes et les pistes de solutions pour y remédier. Donc, au lieu de se poser la question « On fait quoi ? » il serait peut-être temps qu’on se pose collectivement la vraie question : « Pourquoi on ne le fait pas ? ».

Parce que cela commence à presser.

(Publié le 23/08/2019)

10 LÉGUMES-FEUILLES POUR PIMPER VOTRE SALADE

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Feuilles de laitue. Tomates. Oignons verts. Huile. Vinaigre. Sel. Poivre.

Contrôle C, Contrôle V.

Si cela résume assez bien votre concept d’une salade estivale, on se permet cette semaine de partager une liste secrète qui vous aidera à sortir des sentiers battus, avec 10 légumes-feuilles pour vous aider à rehausser ou à pimper votre salade (pour utiliser un terme technique). Parce que rappelez-vous, une salade, c’est un peu comme un cabanon : on peut vraiment mettre n’importe quoi dedans.

10 LÉGUMES-FEUILLES POUR PIMPER VOTRE SALADE

Pour une laitue avec du caractère, du torque, rien ne bat la scarole. Croquante, frisée, légèrement amère — mais pas trop —, elle se mange crue ou même cuite. Utilisée parcimonieusement, elle rehaussera n’importe quelle salade, sans toutefois en prendre le contrôle. Car la scarole a le mérite de connaître sa place, de ne jamais s’imposer et, surtout, de ne jamais nous désappointer.

Lober de la roquette dans une salade est comme lui donner une nouvelle dimension, de la profondeur, du temps en bouche, de la hauteur. Pimentée et envoûtante, on vous suggère de bien la doser, car tout aliment qui est connu sous le nom de Rocket peut facilement créer des dommages collatéraux. Techniquement, la roquette n’est pas une laitue, mais plutôt un membre de la prestigieuse famille des crucifères et contient donc une panoplie de composés qui auraient des propriétés anticancéreuses. C’est une tenace vivace à la multiplication miraculeuse, alors si jamais vous êtes aux prises avec des plants de roquette envahissant dans votre jardin, n’hésitez surtout pas à en faire du pesto.

Les choux de Bruxelles sont un peu comme Gregory Charles — on aime, ou on n’aime pas. Mais si on ne savait pas qu’on les mangeait ? « Les choux de Bruxelles se mangent crus », nous confie notre chef Patrice Gosselin. « Vous n’avez qu’à les couper très, très finement et les parsemer dans une salade. Ils ajouteront du crunch et de la texture. »

Délicate et tendre, la mâche est aussi connue sous le nom de doucette — ce qui en dit long sur son goût de noisette. Laitue aux petites feuilles délicates qui ressemblent presque à des pétales, son contenu en bêta-carotène équivaut à 75 % de celui d’une même quantité de carottes, prouvant encore une fois qu’on ne doit pas toujours se fier aux apparences.

Tout le monde sait que le kale est king. Mais si on le transforme volontairement en chips au four ou on le broie à répétition pour nos smoothies, on est plutôt réticent à l’accepter tel quel dans nos salades. Avant tout parce que c’est un dur à cuire qui nous fait mâchouiller un peu trop. « Faites mariner quelques feuilles de kale dans une vinaigrette pendant une trentaine de minutes avant pour l’attendrir », nous suggère notre chef. « Ou pour les paresseux comme moi, 30 secondes au micro-ondes feront le travail. »

S’il y a une plante qui aurait une cause à porter devant les tribunaux de la Cour internationale de justice de La Haye pour discrimination végétale, c’est bien le pissenlit. Voyons voir. Oui, le pissenlit ajoute une merveilleuse pointe d’amertume dans toutes vos salades. Mais il y a plus. Ses propriétés médicinales ont été reconnues pendant des siècles par des médecins arabes, par les tribus autochtones comme les Iroquois et les Ojibwés ou encore par les Chinois. Une étude de 2006 confirmait les vertus antioxydantes, anticancéreuses et antidiabétiques de ses composés. Et ses fleurs jaunes resplendissantes favorisent la pollinisation et nourrissent les abeilles au printemps alors qu’il manque souvent de fleurs. Logiquement, face à cette feuille de route resplendissante, nous avons développé une industrie chimique toxique pour démoniser et pulvériser le pissenlit, et le cibler comme l’ennemi public numéro un de nos beaux gazons verts qui ne servent absolument à rien. Oui, son nom qui souligne ses propriétés diurétiques ne l’aide sûrement pas. L’anglais « dandelion » est beaucoup plus noble même s’il provient, ironiquement, du français « dents-de-lion » qui fait référence à ses feuilles édentées. Finalement, si vous vous êtes déjà demandé comment sa belle fleur jaune se métamorphosait magiquement, du jour au lendemain, en une belle boule de plumes légères et éphémères, eh bien, heureusement, il y a une vidéo pour cela. Et une fois pour toutes, laissez donc le pissenlit tranquille.

De la même famille que le pissenlit, le radicchio s’en est mieux tiré, sans doute grâce à sa belle couleur rouge violacé, sa rondeur et sa similitude au chou. Mais méfiez-vous, le radicchio n’est ni chou ni laitue, et son goût amer et prononcé ainsi que sa couleur vibrante en font un précieux ajout à n’importe quelle salade. « On vous suggère donc de le hacher finement ou à la mandoline japonaise avant de l’incorporer dans vos salades », nous recommande notre chef.

On le sait, l’endive est parfaite comme petit récipient comestible, cute et fancy,pour y déposer un pâté ou un tartare. Mais l’endive à son état pur et simple est tout aussi délicieuse et a le mérite d’ajouter du croustillant dans une salade avec une fine pointe d’amertume qui ne déstabilisera pas pour autant vos invités. Légumes qu’on fait pousser volontairement dans la noirceur pour leur donner leur couleur pâlotte, vous pouvez également hacher les endives finement ou, pour vraiment épater la belle-mère, les faire griller ou sauter dans de l’huile d’olive auparavant.

On termine avec des rejetons qui, franchement, méritent un meilleur sort. Primo, les fanes de rabioles. Si vous ne connaissez pas la rabiole, c’est un peu le nom de scène du navet blanc ou du navet d’été, qui a un goût à la fois piquant et sucré. Ses feuilles, qui se retrouvent tristement dans le compost, sont pourtant tout aussi délectables bouillies, cuites à la vapeur ou même crues, mélangées dans une salade composée, pour ajouter un peu de piquant et de pizzaz. Idem pour les feuilles de betteraves qui, subtilement incorporées dans une salade, donneront de la couleur et de la vie à votre plat, mais aussi généreront un goût mystérieux de… betteraves, prouvant hors de tout doute que le goût du rejeton n’est jamais bien loin du trognon.

Textes et recherches : Stephane Banfi
Publié le 12/07/2021

PETIT SUIVI SUR LES PESTICIDES

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Si vous gardez le pointage à la maison, vous savez que le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, présentait, le 22 octobre dernier, son nouveau plan d’agriculture durable (« Le Plan ») qui a pour but, entre autres, de réduire l’utilisation des pesticides sur nos terres. Et justement, les pesticides sont revenus en force dans l’actualité récemment avec le lancement du livre Pour le bien de la terre, de l’agronome Louis Robert, qui avait sonné l’alarme concernant l’utilisation des pesticides au Québec et le rôle-conseil que les compagnies jouaient désormais auprès des agriculteurs.
« Les entreprises qui proposent des produits fertilisants et des pesticides (ont) la mainmise sur une partie de notre agriculture », peut-on notamment y lire.
Même le ministre Lamontagne a dû réagir au livre, admettant publiquement que « Oui, on utilise trop de pesticides » au Québec.
Louis Robert dénonce aussi l’utilisation massive de pesticides « tueurs d’abeilles », alors que scientifiquement, ils ne sont pas vraiment utiles dans un contexte québécois.
Manque de pot, le gouvernement canadien en a aussi remis une couche récemment en annonçant qu’il ne comptait pas interdire ces pesticides, mais plutôt imposer des « restrictions supplémentaires » qui entreront en vigueur d’ici deux ans.
Vu tous ces développements, et vu qu’on avait présenté un dossier assez exhaustif sur le sujet récemment, on se permet donc un petit suivi sur trois points précis concernant les pesticides et le fameux nouveau Plan d’agriculture qui, faut-il le rappeler, a été présenté en octobre dernier.

1. Qu’est-ce qu’on fait pour encourager les agriculteurs à utiliser moins de pesticides ?

Le ministre André Lamontagne avait expliqué, lors du lancement de son Plan en automne dernier, qu’« au moment où on se parle il y a des experts — entre guillemets — qui vont vraiment s’asseoir et la commande est de trouver une façon de rétribuer et d’encourager des nouveaux comportements ou des comportements qui vont au-delà des cadres réglementaires pour faire bouger l’aiguille ».

Il était question de lancer un projet pilote cette année, pour encourager les agriculteurs à réduire leur utilisation de pesticides et évaluer les résultats, pour ensuite éventuellement étendre le programme à la grandeur de la province en 2022.

Puisque nous sommes presque en juin et que les champs s’activent, on a posé la question au Ministère à savoir combien de fermes participent au projet pilote, quelles étaient les balises pour encadrer ce programme, les détails, etc. La réponse, en date du 6 mai :
« Le projet pilote qui se déroulera cet été, et qui sera géré par le Centre d’études sur les coûts de production en agriculture (CECPA) dans le cadre de leur mandat, visera à tester une proposition préliminaire du mécanisme de rétribution auprès d’un groupe d’entreprises agricoles, en assurant notamment une représentativité des régions et des productions. À ce moment-ci, les modalités du projet pilote ne sont pas arrêtées. »

Autrement dit, après plus de 219 jours, la « commande » du ministre n’a pas encore été livrée et disons que l’aiguille n’a pas trop bougé. 

2. Et la Loi sur les agronomes ? 

Depuis 1990, le ministère de l’Agriculture s’est discrètement retiré de son rôle-conseil auprès des cultivateurs et laisse plutôt cette besogne… aux compagnies qui vendent des pesticides. Le nouveau Plan doit une fois pour toutes corriger cette aberration.

Le ministre Lamontagne a d’ailleurs rappelé en avril, en réaction au livre de Louis Robert, qu’il a demandé à sa collègue Danielle McCann, la ministre de l’Enseignement supérieur, de revoir la Loi sur les agronomes.

Le hic c’est que la demande avait déjà été faite (et annoncée) au mois d’octobre 2020.
Où en sommes-nous sept mois plus tard ?
« L’Ordre des professions du Québec poursuit ses travaux, et il doit remettre ses recommandations au maximum à l’automne prochain, ce qui mènera à la révision de la Loi sur les agronomes », de nous expliquer un relationniste du Ministère par courriel.
Du côté de l’Ordre des agronomes du Québec, après un échange de courriels, on nous a répondu le 5 mai : « La première rencontre avec l’Office des professions a eu lieu. Tel que mentionné dans mon courriel précédent : Dès que nous en saurons davantage, l’Ordre publiera les avancements dans ces différents outils de communication. »
Donc, 219 jours après l'annonce, on a eu droit à une première réunion.

C'est déjà ça.

3.… Et les abeilles qui sont mortes subitement ?

Finalement, puisqu’on parle de morts d’abeilles, en juin dernier, un apiculteur de Montérégie avait été sidéré de retrouver de ses millions d’abeilles mortes. Le ministre Lamontagne avait lui-même déclaré, lors d’une entrevue à la radio, que son ministère allait faire enquête.

Presque un an plus tard, on s’est permis de demander une copie des résultats de cette analyse, question de savoir ce qui peut bien entraîner des millions d’abeilles à subitement crever d’un coup sec, un bel après-midi d’été.

On nous a tout de suite indiqué qu’il fallait passer par l’accès à l’information.
Après avoir logé une demande en bonne et due forme pour connaître les résultats de l’analyse faite sur les abeilles, nous avons reçu une lettre assez costaude et rigoureuse de quatre pages, au sentiment d’urgence, nous informant que :
« … À cet égard, concernant les résultats d’analyse, il appert de l’analyse du dossier que nous ne pouvons y répondre favorablement, et ce, conformément aux articles 14, 23, 24, 53 et 54 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1), ci-après “Loi sur l’accès” ».

On parle ensuite de protection de vie privée, Charte des droits et libertés de la personne et de secret professionnel.

On se permet une suggestion, comme ça : Et si on appliquait la même rigueur et le même sentiment d’urgence pour protéger la vie tout court à la place ?

(Publié le 29/05/2021)

LES PESTICIDES ET NOUS

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1. LES DOUZE SALOPARDS DE LA BOUFFE

On commence cette semaine avec la liste des fruits et légumes les plus contaminés par les pesticides aux États-Unis, telle que rédigée par l’Environment Working Group, surnommée affectueusement « Les Douze Salopards ». Le podium en 2021 : les fraises, suivies de près des épinards et du kale, qui est pour une première fois ex aequo avec les autres légumes-feuilles.

En effet, un total de 94 pesticides différents ont été trouvés sur les légumes-feuilles, y compris les néonicotinoïdes, cette classe d’insecticides qui agissent sur le système nerveux de certains insectes, surtout les abeilles.

En gros, les tests du Département de l’agriculture américaine (USDA) ont décelé des résidus de pesticides chimiques potentiellement nocifs sur près de 70 % des produits frais conventionnels (non biologiques) vendus aux États-Unis. Et avant de tester les fruits et légumes, sachez que l’USDA les lave, les frotte et les épluche, comme nous le faisons tous assidument à la maison (riiiight).
Sans surprise, le EWG presse « les consommateurs qui s’inquiètent de leur consommation de pesticides à envisager, si possible, d’acheter des versions biologiques des aliments qui se trouvent sur notre liste ».
De l’autre côté du spectre, on retrouve aussi les « 15 propres », soit les aliments les moins contaminés. Le top 3 des immaculés : les avocats, le maïs et les ananas.
Si vous pensez que toute cette contamination chimique est un problème uniquement réservé à l’agriculture débridée de nos voisins du sud, on profite de l’occasion pour faire un petit survol de ce qui se passe chez nous. Voyons voir…

2. PETIT SUIVI SUR LES PESTICIDES 

Chez nous, la dernière analyse du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), en 2018-2019, sur 18 types d'aliments révélait que « des résidus de pesticides ont été observés dans 74 % des échantillons, soit dans 496 des 668 échantillons analysés. Au total, toutes provenances confondues, ce sont 107 résidus de pesticides différents qui ont été observés dans 1868 résultats d’analyse positifs.». Donc, disons que quand on se compare aux États-Unis, on ne se console pas tellement.

Le rapport souligne quand même « qu’un excellent taux de conformité global de 97 % a été observé » parce qu’il faut se rappeler que dans les pesticides, tout est dans le dosage — même si idéalement, un peu comme les taxes, la fumée de cigarette et les films avec Adam Sandler, on aimerait toujours les éviter.

En novembre 2015, Radio-Canada rapportait que Québec avait carrément perdu le contrôle des pesticides et que leur utilisation atteignait des niveaux records. Pourquoi ? Depuis 1990, il appert que le ministère de l’Agriculture s’est discrètement retiré de son rôle-conseil auprès des cultivateurs et laisse plutôt cette besogne… aux compagnies qui vendent des pesticides. Tous ensemble : « Ben là… » L’agronome Louis Robert avait justement souligné cette incohérence (restons polis) pour ensuite être viré en janvier 2019. Puis après une belle crise médiatique comme on les aime au Québec, il a été réintégré dans ses fonctions.

Pris de court, le gouvernement québécois a donc dû se pencher sur l’épineux dossier des pesticides, et a mis sur pied une commission parlementaire au nom de super-vilain de films de James Bond — la CAPERN —, la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles. Après avoir reçu près de 800 recommandations et 76 rapports provenant de différents groupes, coup de théâtre : certains membres de la commission veulent des recommandations concrètes, pendant que les élus caquistes du groupe penchent plutôt pour des « conclusions et observations », ce qui soulève la question existentielle : on fait tout ça pour quoi au juste ? Après une autre chicane médiatique, on se ravise. Il y aura finalement 32 recommandations… qui sont plutôt faibles, et qui ressemblent, en fait, à une liste de voeux pieux. Comme nous le soulignait Louise Hénault-Ethier, chef des projets scientifiques avec la Fondation David Suzuki : « La première recommandation mentionne de prioriser la lutte aux pesticides. C’est déjà l’objectif de la stratégie du ministère de l’Environnement et du MAPAQ, donc je ne sais pas ce que cela apporte de nouveau. »

Puis, le 6 juin 2020, une pluie d’abeilles s’abat sur la Montérégie et un apiculteur perd 600 ruches. La raison, on présume, est reliée aux pesticides. Le ministre de l’Agriculture André Lamontagne annonce en entrevue qu’il y a aura enquête. (Note : On a envoyé un courriel au ministère la semaine dernière pour avoir les résultats de l’enquête. On vous tient au courant.)

Finalement, l’automne dernier, le même ministre de l’Agriculture présente enfin son Plan d’agriculture durable pour les 10 prochaines années. On y aborde notamment le dossier des pesticides avec du concret. Voyons voir.

3. LE PLAN 

Le Plan, qui a été présenté aux médias le 22 octobre dernier, s’est donné les moyens pour réussir, avec 25 millions $ par année pendant cinq ans — ou 125 millions $ sur 5 ans, cela fait plus gros et beau  — dont 70 millions $ pour rétribuer les agriculteurs qui adopteront de meilleures pratiques et réduiront leur utilisation de pesticides. Autrement dit, on veut encourager/récompenser les comportements positifs, soit la méthode « carotte » — pour utiliser un terme technique.

Mais en décodant les propos du ministre, une chose apparaît assez claire : les pesticides sont là pour de bon. Car malgré les dangers connus de certains produits comme le glyphosate (pour lequel la compagnie Bayer s’apprêterait à débourser une somme controversée de 2 milliards pour tenter de freiner les poursuites) ou les néonicotinoïdes qui déciment les abeilles partout sur le globe, quelques mois après l’annonce du plan, le ministre mentionnait en entrevue à La Presse que penser que les pesticides disparaîtront demain matin relève « d’Alice au pays des Merveilles… Ce qui est important, c’est de mettre en place un environnement qui va faire en sorte que les comportements vont changer ».

OK. On veut bien. Mais est-ce que cela relève du génie d’Aladin que de souhaiter que notre gouvernement nous protège et prenne ses responsabilités rapidement pour au moins encadrer et conseiller l’utilisation des pesticides sur nos terres, au lieu de laisser cela à l’industrie agrochimique ?

Lors de l’annonce, le ministre a plutôt déclaré qu’on allait réaffecter 75 agronomes sur le terrain et revoir la Loi sur les agronomes, mandat qu’il a confié à sa collègue Danielle McCann — ce qui veut dire, encore des délais. Comme le mentionnait Thibault Rehn de l’organisme Vigilance OGM en entrevue à La Presse : « Ça fait longtemps que prescription et vente sont séparées dans le domaine de la médecine. En 2020, pourquoi attend-on encore ? »

Pendant qu’on tergiverse d’un côté, le ministre du Travail Jean Boulet s’apprête cette semaine à modifier la loi 59  pour moderniser le régime de santé et de sécurité du travail, afin de reconnaître la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle. Pourquoi? Pour dédommager les agriculteurs, agronomes ou travailleurs qui sont victimes des pesticides. En effet, selon une professeure de santé environnementale de l'Université de Montréal, les personnes exposées aux pesticides pendant plusieurs années augmentent leur risque de 70 % de développer la maladie de Parkinson.

Lorsqu’on a demandé au ministère de l’Enseignement supérieur où on en était avec la révision de la Loi sur les agronomes, la réponse par courriel fut assez éloquente : « À ce sujet, il est difficile pour le moment de déterminer un échéancier, mais nous vous invitons à suivre l’actualité en la matière. » Traduction libre : « Don’t call us, we’ll call you. »

4. DES MESURES CONCRÈTES DANS LES CHAMPS … MAIS PAS AVANT 2022

Lors de l’événement de presse, on s’est aussi beaucoup vanté des mesures concrètes que proposait Le Plan, notamment au niveau de la recherche. Mais lorsque les journalistes ont commencé à poser des questions un peu plus — euh — concrètes du genre : Avez-vous des exemples de mesures incitatives pour inciter les agriculteurs à utiliser moins de pesticides ? Est-ce qu’il y aura un maximum que chaque ferme pourra recevoir de ces 70 millions ?, on a eu droit à un flou artistique assez impressionnant. « … Le combien par ferme, par producteur et tout ça — honnêtement, cela va être au cours des prochains mois qu’on va être en mesure de jauger et de décider tout cela. »

Un peu perplexe, la journaliste a osé pousser un peu plus loin, pour connaître les détails du Plan : « Par exemple, une réduction de 10 % de pesticides donnerait un 50 $ par hectare, est-ce que c’est vers ça qu’on s’enligne ? »

On vous laisse regarder l’échange :

Traduction libre : On a l’argent, mais on ne sait pas encore comment cela va se traduire dans le champ. Du moins, pas avant 2022.

Coïncidence ou non, le journaliste Thomas Gerbet de Radio-Canada a aussi déploré avoir reçu le fameux Plan à 14 h 10 alors que la conférence de presse était à 14 h, ce qui supposait que les journalistes devaient trouver une faille dans la courbe spatio-temporelle pour pouvoir prendre connaissance du Plan avant l’événement.

D’ici 10 ans, Le Plan veut aussi diminuer de 15 % les pesticides vendus au Québec par rapport à la moyenne de 2006-2008, soit une réduction immense de 500 000 kg. Mais le mot clef ici est « vendus ».
Car en consultant les plus récentes données disponibles, Radio-Canada dévoilait un mois plus tard que les ventes de pesticides au Québec avaient déjà mystérieusement diminué de 662 000 kilos depuis la période de référence. Donc, c’est déjà mission accomplie… avant même de commencer ? Nadine Bachand, analyste d’Équiterre avait même déclaré : « Si on se fie à 2018, on n’a pas besoin d’avancer. » Pourquoi cette baisse de ventes soudaine dans les stats ? Des agriculteurs québécois se seraient approvisionnés en pesticides en Ontario et sur le web en 2018… et les ventes n’apparaissent donc pas dans les données de Québec.

5. LES QUÉBÉCOIS SONT PRÊTS À PAYER

Et pendant qu’on doit encore attendre deux ans pour voir des nouvelles pratiques à grande échelle dans nos champs, les Québécois, eux, disent qu’ils sont prêts à payer sur le champ pour du changement.
En effet, une étude publiée au début du mois de mars dans la revue scientifique Ecological Economics révélait que les Québécois étaient prêts à payer 100 $ par année pour aider les agriculteurs à diminuer leur utilisation de pesticides.

Et la préoccupation des Québécois pour les pesticides est 10 fois supérieure à celle de la protection des milieux humides, ce qui prouve qu’on est toujours plus incliné à se mobiliser contre quelque chose qui peut nous tuer.

On le sait, un petit brun ne va pas aussi loin qu’avant, mais une fois extrapolé à l’échelle de la population, c’est donc dire que les Québécois seraient prêts à investir une somme de 176 millions $ en un an pour aider nos agriculteurs, soit plus que la totalité du Plan — et juste pour contrecarrer les pesticides.

On sait que le virage qu’on tente de prendre au ministère est colossal, et que même les agriculteurs les plus attentionnés sont pris dans un engrenage complexe. Et on sait qu’on veut agir. Mais quand on joue avec les chiffres, quand on présente un plan qui a certes de l’ambition, mais qui a aucune nouvelle initiative concrète à proposer dans l’immédiat, quand on demande de réviser une loi au lieu de changer des pratiques douteuses qui sont déjà connues, et quand on a des citoyens qui sont prêts à payer, mais qu’on est incapable de livrer, on n’a beau avoir toutes les réponses et les compétences, il semble manquer un élément important.

L’urgence.

Textes et montage : Stephane Banfi

(Publié le 29/03/2021)