Lorsque vous croquez dans une pomme, mangez votre salade ou savourez votre brocoli, vous avez des maudites bonnes chances d’en avaler. 

Malheureusement, on ne parle pas de fibre, mais plutôt de pesticides, et ce n’est pas qu’on veuille vous faire peur, mais il n’en demeure pas moins que ces produits chimiques, qui ont été conçus, rappelons-le, pour tuer, font désormais partie de notre agriculture et par extension, de notre alimentation et de nos vies. 

C’est ce que révèle le rapport de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN), dévoilé cette semaine, qui s'est penché sur l'utilisation des pesticides. On en profite pour faire le point sur le sujet.

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DANS LE CAS DES PESTICIDES, LA SCIENCE N'EST PAS TOUJOURS EXACTE

Si on est d’accord que les pesticides comportent des risques pour la santé humaine, on ne connaît pas — ou on ne s’entend pas toujours — sur leurs effets nocifs.
L’exemple du glyphosate utilisé dans le Roundup de la compagnie Monsanto est assez frappant : en Europe, le produit a été classé « cancérigène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer en 2015 ; le Luxembourg est le premier pays européen à l’interdire dès cette année et la France veut en faire de même d’ici 2021.
Pourtant, Santé Canada optait pour le maintien son utilisation sur nos terres, le jugeant sécuritaire, ce qui a poussé l’organisme Safe Food Matters, il y a quelques semaines, à demander à la Cour fédérale de Toronto de revoir cette décision.
Pendant ce temps, aux États-Unis, on ne compte plus les recours collectifs contre le produit, phénomène qui a même fait son apparition au Canada.
C’est dans ce contexte que la Commission a dévoilé son rapport tant attendu sur les pesticides, qui contient pas moins de 32 recommandations.

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LES GRANDES LIGNES DU RAPPORT

Le rapport dresse en premier lieu un portrait de la situation au Québec :

+ En 2017, au Québec, il s’est vendu 3 348 328 kg de pesticides pour la production végétale, soit l’équivalent en poids de près de 1 760 bélugas — ce qui est évidemment un chiffre fictif puisqu’il resterait seulement un peu plus d’un millier de bélugas dans l’estuaire du Saint-Laurent. (Mais ça, c’est une autre histoire — ou pas).

La dernière analyse du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) en 2016-2017 sur 16 types de fruits et légumes au Québec révélait que des résidus de pesticides ont été observés dans 78 % des échantillons analysés.

+ Également présents dans nos cours d’eau, les pesticides comportent des risques pour la santé humaine, mais la gravité varie selon le degré d’exposition. Et même si les travailleurs agricoles sont les plus exposés, la population en générale y est aussi, à plus faible dose, de façon chronique.

+ Ajoutez à cela que le gouvernement s’est graduellement retiré des services-conseils auprès des agriculteurs, ce qui veut dire que les fabricants de pesticides sont devenus les conseillers-experts sur l’utilisation de ces / leurs produits — ce qui pourrait sembler drôle, si ce ne l’était vraiment pas. Cela a notamment mené au congédiement de l’agronome Louis Robert qui dénonçait la situation.

+ Finalement, rappelons qu’en toile de fond, il y a un enjeu économique énorme : les consommateurs veulent des beaux fruits et légumes, et à bon prix, mais pour être compétitifs, l’utilisation des pesticides est une pratique qui n’est pas si facile à éliminer ou négliger. Cela va donc prendre des subventions, de la formation, de l’innovation, de la sensibilisation, bref un grand virage avec un V majuscule pour y arriver, que plusieurs souhaitent voir dans le Plan d’agriculture durable promis par le ministre de l’Agriculture André Lamontagne.

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RÉACTIONS AU RAPPORT 

Devant ces constats, on pouvait s’attendre à 32 recommandations musclées, un échéancier serré pour redresser la situation et apporter les correctifs qui s’imposent. On a discuté du rapport avec Louise Hénault-Ethier qui est chef des projets scientifiques avec la Fondation David Suzuki.

« Ma première réaction a été ENFIN, le rapport est déposé. On est content, parce qu’il va y avoir un débat et cela va aider grandement à structurer la gouvernance autour des pesticides et cela a introduit le sujet des pesticides dans le domaine collectif. »

« Ceci étant dit, les recommandations sont somme toute assez faibles. Ce ne sont pas des recommandations qui sortent des solutions particulièrement innovantes aux problématiques. On a fait des recommandations qui sont déjà des évidences, bien inscrites dans les démarches actuelles. »

« Par exemple, la première recommandation mentionne de prioriser la lutte aux pesticides. C’est déjà l’objectif de la stratégie du ministère de l’Environnement et du MAPAQ, donc je ne sais pas ce que cela apporte de nouveau. Aussi, par rapport à l’indépendance de la recherche scientifique, il y a un problème quand des intérêts privés empêchent la diffusion de connaissances acquises sur des projets de recherche appliquée grâce au financement public. Ça, c’est un énorme problème et cela n’a pas été adressé.
D’un point de vue alimentaire, c’est bien d’avoir mentionné la nécessité de faire plus de tests sur les aliments et de mieux diffuser les résultats de ces analyses, mais il faut que les analyses soient représentatives des aliments sur le marché sur le plan statistique, ce qui n’est pas le cas en ce moment.
Le rapport aurait pu aussi aller plus loin, en demandant à ce que les vendeurs de pesticides ne puissent pas prescrire les pesticides. »

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EST-CE QU'IL Y DES CHOSES INNOVANTES DANS LE RAPPORT? 

« Pas beaucoup mais il y a deux éléments qui me viennent à l’esprit, » poursuit Louise Hénault-Ethier. On voit que les membres de la Commission s’inquiètent des effets de toxicologie des cocktails de pesticides mélangés avec d’autres produits chimiques dans notre environnement. Ce sont des effets qui sont très difficiles à étudier, on s’inquiète des effets potentiels qu’on a du mal à quantifier, mais on ne sait pas comment cela va s’articuler. Aussi, on veut mieux encadrer la publicité sur des pesticides — ça, vraiment il était temps. Dans le domaine du tabac et de la pharmaceutique, on n’a pas le droit de vanter les mérites ni d’un médicament, ni d’un produit qui cause des effets pervers sur la santé. Par contre, il n’y avait pas d’encadrement pour des produits qui sont faits pour tuer des organismes vivants. Par exemple, pour les pesticides d’usage domestique, on rentrait dans les quincailleries, et ils étaient placés de façon frontispice, en bout de rangée devant les caisses, exactement où on met les bonbons, pour être certain qu’on en achète. L'impact des pesticides sur le développement du cerveau des enfants est bien connu, bien documenté, donc si on pouvait minimiser l’usage de ces produits au lieu d’en vanter les mérites, cela serait une bonne chose. »

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ALORS, ON FAIT QUOI MAINTENANT? 

C’est LA question. Parce que le rapport ne donne pas d’échéance, ne propose pas de date ou de mode d’implantation précis pour ces recommandations, ce qui n’est pas si surprenant quand on sait qu’initialement, il devait contenir de simples « observations ».

Le gouvernement du Québec a également promis une politique d’agriculture durable qui vise à améliorer les pratiques agricoles, donc on peut s’attendre à ce que plusieurs éléments du rapport — et des points soulevés dans les mémoires déposés qui n’ont pas été retenus au rapport final — soient réutilisés à cet effet.
Entre temps, il y a plein de petits trucs et gestes qu’on peut faire pour tenter de réduire l'impact des pesticides dans nos vies, y compris laver nos légumes à l’eau vinaigrée ou acheter bio.

Mais pour la suite des choses sur le plan gouvernemental, on s’est quand même permis de poser la question à l’Assemblée nationale qui nous a répondu, par courriel : « La Commission a formulé 32 recommandations dans son rapport. Les recommandations contenues dans les rapports de commission n’ont toutefois pas de caractère contraignant. Les ministères, organismes et agriculteurs auxquels s’adressent les recommandations sont donc libres de les suivre ou non. »

Autrement dit, après plus d’un an de travail, des déplacements en région, en Belgique et en France, 76 mémoires et 26 témoignages recueillis, et devant un constat pour le moins inquiétant sur les effets des pesticides sur la santé et l’environnement, et malgré les conflits d’intérêts évidents entre l’industrie des pesticides et le rôle-conseil qu’elle joue auprès des agriculteurs, le message de la Commission semble être : « Voici 32 choses qu’on aimerait vraiment — mais vraiment — changer, mais en fin de compte, faites donc ce que vous voulez. »