MONSTRES ALIMENTAIRES : PEPSICO

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LA TAILLE DU MONSTRE

Revenus (2019) : 67,16 G$ US
Profits : 7,3 G$ US
Employés : 267 000
Marques : 22
Marques qu’on connaît : Pepsi (et la trôlée de dérivés), Gatorade, Doritos, Lays
Mais aussi : Captain Crunch, Hummus Sabra, thé glacé Lipton, eau Aquafina, céréales Life, Rice A Roni, Aunt Jemima, Quaker Oats

LES ORIGINES DU MONSTRE

C’est à un pharmacien du nom de Caleb Bradham, de la Caroline du Nord, qu’on doit la création de l’éternel rival du Coke.

En 1893, il concocte une boisson à base de sucre, d’eau, de caramel, d’huile de citron, de muscade et d’autres additifs naturels qui est devenue, semble-t-il, une sensation du jour au lendemain.

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Surnommée initialement « Brad’s Drink », son nom sera changé pour Pepsi-Cola, car son créateur veut positionner la boisson comme un produit sain et thérapeutique, qui facilite la digestion. Le mot « Pepsi » vient donc du mot dyspepsie, qui veut dire indigestion. (Concept).

Voyant un marché et une demande croissante pour son produit, Big Brad enregistre le nom Pepsi, se nomme président et procède à une expansion qui franchira le cap des 240 franchisés et des ventes dans 24 États en 1910. Et bien avant Michael Jackson ou Madonna, en 1913, Pepsi amorce sa tradition d’utiliser des vedettes comme porte-parole en misant sur Barney Oldfield, un célèbre pilote de course de l’époque.

Hélas, la Première Guerre mondiale a eu finalement raison de Pepsi sous la direction du beau Brad, alors que la rareté et les prix rocambolesques du sucre l’ont conduit directement à la faillite en 1923. La compagnie, le nom et la recette sont rachetés pour la somme de 30 000 $ et Pepsi prendra son envol monstrueux en changeant de mains plusieurs fois par la suite.

AUTRES MOUVEMENTS DE LA BÊTE 

+ C’est en 1965 que la créature se déploie au-delà des boissons, avec l’achat de Frito-Lay, les fabricants de croustilles, et du coup change son nom d’entreprise pour PepsiCo. Elle avale par la suite une multitude de proies à des coûts exorbitants, dont les jus Tropicana en 1998 (3,3 G$ US) et Quaker Oats en 2001 (13,4 G$ US).

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+ Infatigable, au mois de mars dernier, elle met la main sur la boisson énergisante Rockstar (3,85 G$) en plus de signer un accord pour être distributrice officielle de l’eau Evian au Canada.

+ Finalement, en septembre, la bête a engendré un nouveau rejeton, le « Driftwell », une boisson thérapeutique à base de L-théanine, qui favorise supposément le calme, la concentration et le sommeil, prouvant hors de tout doute qu’on ne sait plus vraiment quoi faire ou inventer pour faire de l’argent.

TOUS LES MONSTRES

L’ENTREVUE SÉRIEUSE AVEC MICHAEL MOSS

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L'ENTREVUE SÉRIEUSE AVEC MICHAEL MOSS:

Si une de vos résolutions en 2022 est de mieux manger — mais que vous êtes tout simplement incapable de déguster une poignée de Doritos sans voir le fond du sac trois minutes plus tard, les deux poignets orange et l’estomac noué de honte —, vous serez peut-être content d’apprendre que vous n’êtes pas seul. Et surtout, que vous n’êtes peut-être pas si responsable que ça de votre appétit vorace et compulsif pour la bouffe transformée.

Dans son plus récent livre intitulé Hooked : Food, Free Will, and How the Food Giants Exploit Our Addictions, l’auteur et journaliste d’enquête du New York Times Michael Moss a plongé pendant cinq ans dans le ventre de la bête du monde de la nourriture transformée.

« Je pense qu’en général, ils auraient préféré que je ne sois pas né, explique-t-il de sa relation avec les gens de l’industrie. Mais je pense qu’en bout de ligne, ils ont trouvé que le livre était dur, mais juste. J’aime à penser que le livre se lit comme un roman policier, je ne prêche pas, je m’infiltre dans les entreprises et j’explique, à l’aide de leurs propres documents et entretiens, avec leurs propres employés, comment elles procèdent. »

Le résultat est à la fois fascinant et effrayant, et selon lui ne laisse plus de doute : « Après mon travail sur Hooked, j’ai complètement changé d’avis, je suis absolument convaincu qu’à certains égards, leurs produits sont encore plus puissants que les cigarettes, l’alcool et l’héroïne dans la mesure où ils utilisent notre propre biologie contre nous pour détruire notre volonté et notre capacité de prendre de bonnes décisions. »

Aux Explorateurs culinaires cette semaine, on vous propose donc un entretien avec M. Moss, sur ses découvertes et ses conclusions, et sur cet irrésistible poison qu’est la malbouffe qui, rappelons-le, représente un marché de 2 billions de dollars sur la planète.

 

1. POURQUOI LEURS
PRODUITS SONT-ILS SI ATTIRANTS ? 

Dans son premier livre, Salt Sugar Fat : How the Food Giants Hooked Us,sorti en 2013, Moss avait abordé le sujet de la « Sainte-Trinité » des ingrédients utilisés par l’industrie alimentaire pour les rendre irrésistibles, soit le sel, le gras et le sucre. Réunis, ils créent un attrait quasi insurmontable pour nos cerveaux. Selon Moss, il s’agit certes d’un facteur important qui rend leurs produits si séduisants, mais il y a plus.

« Il y a aussi le marketing, parce qu’ils sont très forts pour trouver et toucher ces boutons émotionnels qui nous poussent à manger alors que nous n’avons même pas faim. Et finalement, ils ont trouvé des moyens d’exploiter notre nature fondamentale, les choses qui nous attirent vers la nourriture, qu’ils sont capables d’exploiter, de capitaliser et de retourner contre nous d’une manière qui n’est pas bonne pour notre santé.»

Pour résumer le phénomène, Moss cite la psychologue et neuroscientifique de Yale, Dana Small, qui a aussi travaillé à l’Université McGill : « Je pense qu’elle a très bien résumé la situation lorsqu’elle a dit que ce n’est pas tant que nous soyons dépendants de la nourriture — bien sûr que la nourriture est addictive, sinon nous ne mangerions pas et nous mourrions de faim —, c’est que la nature de notre nourriture a été modifiée de façon si radicale par ces entreprises que notre capacité génétique à composer avec n’a pas eu le temps de la rattraper. »

En plus des ingrédients, de la publicité, de la texture et de la couleur des aliments, les compagnies ont rapidement réalisé l’importance d’un autre facteur pour nous accrocher à leurs produits : la mémoire.

« Nos souvenirs entourant la nourriture sont très puissants, surtout quand on est enfant, quand nous mangeons quelque chose pour la première fois et que c’est bon. En goûtant, nous allons associer cela avec les autres aspects émotionnels du moment. Coca-Cola et Pepsi ont travaillé dur pour être dans les stades de baseball sachant que s’ils pouvaient mettre une boisson gazeuse dans les mains des enfants quand ils étaient avec leurs parents dans ce beau moment d’être à un match de baseball, ce soda sera à jamais associé à ce sentiment émotionnel. »

2. CE N’EST PAS TOUT LE MONDE QUI EST ACCRO. MAIS...

Cela dit, on connait tous quelqu’un qui est capable de dire non, ou qui peut certes flancher devant des chips à saveur « Roast beef mesquite » un soir devant la télé, puis ne plus en retoucher pendant des mois. De son propre aveu, Moss et sa famille se considèrent comme chanceux, ils sont capables de modération.

« Mais il est clair que certaines personnes ne peuvent pas se contenter de manger quelques biscuits Oreo ou une pizza surgelée une fois par mois.»

Pour ces gens, il est carrément préférable d’éviter ces produits, ce qui n’est pas toujours facile.

«J’ai rencontré des personnes qui ne peuvent pas toucher un grain de sucre sans perdre le contrôle. Pour eux, faire les courses c’est comme aller dans un champ de mines parce qu’il y a du sucre partout dans l’épicerie, dans les produits, c’est vraiment difficile.»

 

3. LES GOUVERNEMENTS NE PEUVENT PAS FAIRE GRAND-CHOSE 

Mais les statistiques démontrent clairement que nous sommes de plus en plus incapables de résister à ces produits. Les dommages collatéraux de la malbouffe se font en effet sentir aux quatre coins de la planète, avec une épidémie d’obésité mondiale qui fait des ravages, y compris ici où l’obésité et l’embonpoint touchent plus de 4 millions de Québécois. 

Afin de responsabiliser l'industrie, en 2003, Jazlyn Bradley et Ashley Pelman, deux jeunes femmes du Bronx, ont tenté de poursuivre McDonald’s pour leur obésité, mais le juge a rejeté la plainte, marquant un tournant dans le débat. Mais comme le relate Moss d’entrée de jeu dans son livre, par la suite, le lobby de l’industrie s’est immédiatement activé dans plusieurs États américains, aboutissant au Commonsense Consumption Act, une loi qui interdit désormais de tels futurs recours en justice dans 25 États.

Depuis, certaines villes comme Berkeley en Californie, penchent vers une taxe sur les boissons sucrées. D’autres pays comme le Chili, le Mexique ou la France, avec son Nutri Score, ont imposé un système d’étiquettes sur les produits pour aider les gens à prendre des décisions plus éclairées. Moss demeure sceptique face à ces initiatives.

« Le seul danger, c’est que ces entreprises sont très douées pour concevoir un produit qui pourrait leur donner le feu vert sur le devant de l’étiquette, mais qui n’est toujours pas un vrai aliment et qui n’est peut-être toujours pas vraiment bon pour vous de quelque manière que ce soit. Je pense donc que ce type d’intervention gouvernementale est un jeu qu’elles peuvent tourner à leur avantage. »

Pour ce qui est d’une intervention gouvernementale plus musclée, Moss ne croit pas aux résultats, surtout après le succès mitigé de l’initiative « Let’s Move » de Michelle Obama en 2010 qui avait fait de l’alimentation une priorité nationale aux États-Unis.

« Elle a travaillé très fort, mais elle n’a pas réussi à provoquer de véritables changements dans l’industrie alimentaire. En partie parce que les entreprises sont si puissantes et représentent tellement d’emplois et que le président Obama était confronté à une situation financière désastreuse lorsqu’il est entré en fonction. De sorte que tout ce que les entreprises auraient eu à faire est de dire “Regardez, vous allez perdre 10 000 ou 100 000 emplois en faisant cela.” Je ne suis donc pas très optimiste quant à l’intervention du gouvernement, je pense que cela doit venir de la base, par le biais de l’éducation, pour que nous exigions un réel changement et que cela se traduise par des décisions d’achat. Si les compagnies subissent une pression dans les épiceries en termes de ventes, ce sera incroyablement alarmant pour elles et elles changeront. »

Autrement dit, l’industrie n’est pas prête à chambarder une formule gagnante, à moins que cela ne soit payant. Une anecdote savoureuse dans le livre illustre bien ce propos : en 2007, Steve Yach a été embauché par Pepsi afin d’entreprendre un virage santé dans la panoplie de produits que la compagnie offrait. Après une rencontre avec le PDG sortant afin de discuter de sa nouvelle vision, ce dernier a ouvert un sac de Doritos et l’a vidé sur la table.

« Tu dois accepter que la rentabilité provienne de ceux-ci pendant un certain temps », lui a-t-il rappelé.

4. IL FAUT PARLER D’ALIMENTATION DANS LES ÉCOLES ET LES HÔPITAUX 

Parlant d’éducation, deux endroits où Moss voit une opportunité de changement sont les écoles et les hôpitaux.

«Oh ! mon Dieu, absolument ! Si j’étais roi pour un jour, chaque école aurait un jardin. Pas seulement pour nourrir les enfants, mais aussi pour les exciter pour des choses comme des radis. Et ensuite, chaque quartier aurait un magasin qui vendrait des radis frais. Chaque communauté aurait accès à des exploitations agricoles locales, et il y aurait des serres dans les régions du pays où il n’est pas possible de cultiver des légumes et des fruits frais, dont tous les nutritionnistes disent que nous devrions manger davantage.»

L’effet domino se traduirait par des produits frais plus abordables, même dans les déserts alimentaires.

«Certes, il y a dix choses qui doivent se produire, mais il est essentiel de commencer par la prochaine génération et de leur enseigner ce qu’est de la nourriture et la relation de notre corps avec les bons aliments. »

Pour ce qui est des hôpitaux, il voit là une occasion perdue de faire une réelle différence dans la vie des gens.

« Je pense que les médecins en formation commencent à s’intéresser à la nutrition. Mais c’est encore quelque chose d’assez nouveau. C’est tellement une occasion ratée d’aider les gens à s’informer sur l’alimentation lorsqu’ils sont à l’hôpital. Imaginez que vous êtes à l’hôpital, que vous arrivez, qu’ils vous sauvent la vie dans une salle d’urgence, puis que vous êtes hospitalisé. Pensez à ce moment-là si un nutritionniste pouvait venir et vous enseigner la valeur incroyable de la nourriture et vous apprendre comment faire les courses et préparer la nourriture? Mais le système de santé est tellement stressé par les problèmes immédiats de vie ou de mort que les soins préventifs à long terme lui sont plus difficiles. »

1. CE QUE NOUS RÉSERVE L’AVENIR 

L’industrie alimentaire a toujours été à l’affût des nouvelles tendances, c’est une des raisons qui a poussé Heinz à mettre la main sur Weight-Watchers en 1978 — afin de profiter « des deux côtés ». Moss remarque qu’elle se mobilise en ce moment sur plusieurs fronts pour mieux répondre à nos préoccupations alimentaires. Réduction de sel, de sucre et de gras en manipulant leurs produits. Réduction de produits chimiques ou d’ingrédients à consonance effrayante. Limite de 4 ou 5 ingrédients par produit.

« Ou encore, elles répondent à notre souhait de manger bio en ajoutant des mots comme “naturel” sur leur emballage — qui ne veut absolument rien dire. »

Les compagnies veulent aussi développer des aliments personnalisés, selon notre profil génétique. Comme l’écrivait un ancien dirigeant de Nestlé dans le livre Nutrition for a Better Life en 2016 : « À l’aide d’une capsule semblable à celle de Nespresso, les gens pourront prendre des cocktails de nutriments individuels ou préparer leur nourriture via des imprimantes 3D en fonction de recommandations de santé enregistrées électroniquement. »

Rien de rassurant quoi.

Mais un des plus grands changements mise sur une réduction — ou plutôt une substitution — du sucre.

« Les entreprises commencent à utiliser des édulcorants artificiels non caloriques, non seulement dans les boissons, mais aussi dans les produits alimentaires de tout genre, et parfois en combinaison, explique Moss. Vous voyez donc des puddings, des pains, des chips et d’autres produits contenant des édulcorants non caloriques, parfois naturels, parfois artificiels, et cela pourrait être une tendance inquiétante, car la science ne sait pas encore ce que ces produits font à notre cerveau et à notre intestin. »

À cet effet, le livre explique que des chercheurs d’Australie et d’Autriche ont mené une étude conjointe sur des mouches de fruits, en ajoutant un édulcorant artificiel populaire — le sucralose — à leur nourriture, pour voir quel effet il aurait sur leur comportement. Résultat : les mouches ont perdu la tête, ne pouvaient plus dormir, avaient un appétit insatiable, mais n’engraissaient pas pour autant, car elles étaient soudainement hyperactives.

« Dans l’ensemble, résume Moss, la tendance qu’on observe est que l’industrie essaie très fort de paraître mieux qu’elle ne l’est vraiment. »

Finalement, tout au long de ses recherches, Moss a remarqué une autre tendance qui en dit long sur l’ensemble de l’industrie.

« J’ai été frappé par le nombre de cadres supérieurs qui ont changé de camp, conclut-il. Non seulement ils ne mangent pas leurs propres produits, mais ils ont compris qu’ils sont allés trop loin, que nous sommes devenus trop dépendants. Les problèmes de santé causés par leurs produits sont si graves qu’ils ont quitté l’industrie des aliments transformés et travaillent maintenant pour de vraies entreprises alimentaires, en essayant de les aider. »

Textes et recherches: Stephane Banfi
(Publié le 01/02/2022)

L’AVENIR DE L’ALIMENTATION

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On a beau penser que tout reviendra à la normale sous peu, la vérité est que nous allons tous, consciemment ou pas, nous ajuster et nous adapter à cette nouvelle réalité qui nous afflige. Le serrage de main est désormais chose du passé. Les partys raves, on le soupçonne, auront de moins en moins la cote chez nos jeunes. Et le masque est devenu l’équivalent du chapeau gris des années 50 — on devra le porter pour se faire respecter. Mais au-delà de ces nouveaux réflexes, le monde de l'alimentation qui nous entoure change aussi, plus aseptisé, certes, mais aussi revu et repensé en raison de la bibitte qui refuse de nous quitter. Cette semaine aux Explorateurs culinaires, on se permet de puiser dans un excellent récent article du Washington Post de Cara Rosembloom pour vous résumer les cinq choses qui risquent de changer dans le monde de l’alimentation dans un avenir rapproché, selon des experts consultés.

5 CHOSES QUI RISQUENT DE CHANGER DANS
LE MONDE DE L'ALIMENTATION 

Des « innovations » comme les biscuits Oreo à la guimauve ou les cretons de hareng devront attendre, car la priorité numéro un des compagnies alimentaires n’est pas de créer de nouveaux produits mais plutôt d’être plus efficaces. Avant tout en solidifiant la chaîne de distribution qui a connu des moments précaires durant la pandémie, afin d’éviter les pénuries et le stress chez les consommateurs. Qu’est-ce que cela veut dire pour nous concrètement ? Premièrement, moins de choix. Par exemple, une compagnie de soupe qu’on ne nommera pas (mais qui rime probablement avec « Randall ») a choisi de réduire sa palette de produits de moitié, passant de 80 à 40 saveurs de soupes. Aussi, pour éliminer les intermédiaires et limiter les inconvénients, certaines compagnies ont même passé des commandes directement aux agriculteurs pour garantir la qualité, la disponibilité et la livraison de certains produits. Bref, on veut faire mieux avec moins, et on veut éviter les ratés, ce qui est souhaitable, surtout qu’on s’interroge vraiment sur la pertinence d’avoir de la Heinz MayoChup Saucy Sauce sur nos étagères — pandémie ou non.

Avant la pandémie, tous les supermarchés avaient déjà pris un virage en ligne mais sans trop d’attentes, puisqu’à peine 19 % des Canadiens effectuaient leurs achats alimentaires avec une souris à ce moment-là. Puis, est arrivée la pandémie et la proportion a plus que doublé, et tous les promoteurs de l'épicerie en ligne sont passés pour des prophètes ou génies. Mais si l’avenir du supermarché a déjà commencé à se transformer, notamment avec Amazon qui offre une expérience d’achat sans caisses, ou encore des paniers intelligents chez Sobeys, la métamorphose pourrait aller encore plus loin, alors que les consommateurs veulent passer moins de temps en magasin (pandémie oblige), mais tiennent toujours à voir et tâter leurs produits frais avant de les acheter. On envisage donc un supermarché hybride, divisé en deux sections : l’arrière servirait à préparer votre commande de produits non périssables pendant qu’à l’avant, dans un espace plus aéré, vous aurez une vaste gamme de produits frais que vous pourrez zyeuter et manipuler en toute quiétude et distanciation, avec un petit air de Vivaldi à l’appui (pourquoi pas ?). Conséquence : le temps pour faire l’épicerie pourrait passer de 22 minutes à 10 minutes, ce qui réduirait aussi votre niveau de stress parmi tous ces étrangers possiblement vecteurs de contagion.

Une chose que la pandémie semble avoir décuplée, c’est ce désir de connaître d’où proviennent nos aliments (surtout les chauves-souris). Les compagnies alimentaires emboîtent le pas, en mettant de l’avant les producteurs auxquels ils sont associés, identifiant de plus en plus la provenance précise des aliments, même dans les repas surgelés. Dans certaines fermes, on installe aussi des caméras vidéos en continu pour montrer que les animaux sont bien traités. Ne reste plus qu’à en mettre dans les abattoirs, et le monde entier virerait végé du jour au lendemain.

La popularité des produits à base de plantes est indéniable et n’est plus qu’une simple mode passagère. Selon Nielsen, les ventes de substituts de lait ont augmenté de 19 % au cours de la dernière année et les ventes de viandes à base de plantes ont augmenté de 46 %. À mesure que toutes les études démontrent les bienfaits d’une alimentation végée — et les dangers pour la santé et la planète des produits animaliers — on peut s’attendre à encore plus de variété dans ce genre de produits sur nos tablettes, de même qu’à une baisse de prix. C’est déjà commencé alors que Impossible Foods annonçait en début d’année une réduction de 15 % sur le prix de ses produits. Et vu l’engouement pour ce genre de substitut, les compagnies alimentaires planchent sur une panoplie de différents faux aliments. Par exemple, la compagnie Just Eggs débarque au Canada en 2021, dans les Wal-Mart et Whole Foods, avec son produit phare pour remplacer les oeufs. Pendant ce temps, Nestlé se lance dans du faux thon à base de pois et de blé, que la compagnie a baptisé le « Vuna ». On est rendu là.

Finalement, dans la catégorie « n’importe quoi », on dénote quand même une tendance pour de nouveaux produits qu’on dit « fonctionnels » ou même « intelligents » ; c’est-à-dire des produits qui contiennent des nutriments spécifiques qui posséderaient des (supposés) propriétés bénéfiques. Une boisson qui favorise l’immunité (coïncidence). Ou encore, des produits à base de champignons qui augmenteraient la concentration (on se serait attendu à quelque chose de différent avec des champignons. Mais bon). Suivant le pas, en septembre dernier, Pepsi lançait le « Driftwell », une boisson thérapeutique à base de L-théanine, qui favorise supposément le calme, la concentration et le sommeil. Bref, attendez-vous à un peu de tout : des kombuchas spikés, des boissons probiotiques et des barres-collations adaptogènes, qui aident à composer avec le stress — prouvant hors de tout doute qu’on ne sait plus vraiment quoi faire ou inventer pour faire de l’argent.

(Publié le 25/01/2021)

LES MONSTRES ALIMENTAIRES

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Ils sont gigantesques. Ils ont un impact effroyable sur nos vies. Et la terre tremble à chaque geste qu’ils posent. Cette semaine, pour souligner l’Halloween, notre chevronné (et tout aussi chauve) correspondant culinaire Stephane Banfi vous propose un dossier spécial sur ces monstres de l’alimentation qui ont une emprise tentaculaire sur notre planète, et dont les produits se retrouvent aux quatre coins du globe. Leur taille dépasse l’imagination et même si on a beau critiquer à la fois les produits qu’ils proposent ou leurs tactiques, il en demeure pas moins que nous sommes tous, à quelque part, responsables de nourrir la bête, en consommant leurs produits avec une voracité incommensurable. Afin de mieux comprendre leur origine et leur portée, on vous propose donc de plonger dans le ventre de la bête. Mais on vous prévient, vous n’aimerez peut-être pas ce que vous allez y trouver.

LES MONSTRES 

MONSTRES ALIMENTAIRES : CONCLUSION

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Si tout cela vous fait peur, dites-vous que le portrait des monstres alimentaires qu’on vous dépeint est malheureusement loin d’être complet.
Par exemple :
+ Tyson et JBS sont deux mastodontes alimentaires aux chiffres d’affaires annuels de plus de 40 milliards de dollars, qui se spécialisent dans la « transformation » de la viande.

+ Archer Daniel Midland est une immense multinationale agroalimentaire, avec 270 usines à travers le monde, impliquée de près ou de loin dans tout — mais vraiment tout — ce qu’on mange.

+ La compagnie Anheuser-Busch InBev brasse plus de 500 marques de bières, de la Corona à la Stella, en passant par la Bud Light et la Labatt Bleue — avec un chiffre d’affaires de 53 milliards de dollars.

+ Et sans oublier General Mills, qui compte parmi ses 89 marques des personnages aussi variés que le Bonhomme Pillsbury, le Géant Vert ou le Count Chocula — entre autres.

Mais on a plutôt choisi de vous présenter ces cinq gros monstres à cause de leurs tailles, leurs marques alimentaires familières et la tendance inquiétante qu'ils soulèvent.

Car quand on sait que le gouvernement américain s’apprête à traîner devant les tribunaux les géants du tech et du web pour leur monopole dans le domaine, on devrait sérieusement commencer à regarder ce qui se passe du côté de l’alimentation.

Dans ce petit portrait de famille qu’on vous a présenté, il y a cinq compagnies qui emploient l’équivalent de la population de la ville de Winnipeg pour nous faire avaler leurs 2 400 différents produits, et qui génèrent des ventes de plus de 330 milliards de dollars, soit plus que le produit national brut du Portugal.

Et plus ces monstres grossissent, plus ils ont des effets dévastateurs sur notre planète. Par exemple, quatre d’entre eux — Nestlé, PepsiCo, Mondelez et Mars — figurent dans la liste des 10 plus grands pollueurs de plastique au monde. Et c’est sans compter les effets collatéraux sur notre santé collective, alors que l’épidémie mondiale d’obésité, de maladies du coeur, de diabète et d’hypertension ne cesse de gagner du terrain.

Oui, on le sait : rien ne nous oblige à manger leurs produits.

Mais justement, il y a un dernier élément sournois à souligner dans les produits émanant de cette faune effroyable : ils sont invariablement confectionnés par des biochimistes qui savent élaborer, avec une précision démentielle, un produit outrageusement savoureux, qu’on va redemander et dont on peut non seulement difficilement se passer, mais aussi dont on peut facilement devenir dépendant. (Tous ceux qui ont essayé de ne manger « qu’une seule poignée de Doritos » savent de quoi on parle.)

Tout cela pour dire qu’on a pris beaucoup trop de temps à se réveiller avant de légiférer et d’encadrer l’industrie du tabac, avec les tristes conséquences qu’on connaît.

Il serait temps d’en faire autant pour ces compagnies, afin de limiter les dégâts.

Car une chose est certaine, les monstres ne se domptent jamais seuls.

Joyeuse Halloween.

(Publié le 26/10/20)

LES MONSTRES

MONSTRES ALIMENTAIRES : MARS

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LA TAILLE DU MONSTRE

Revenus (2019) : 37 G$ US
Profits : inconnus, la compagnie est privée
Employés : 130 000
Marques : 50
Marques connues : Mars, Snickers, M & M
Mais aussi : Juicy Fruit, Life Saver, Uncle Ben’s, Royal Canin, Whiskas

LES ORIGINES DU MONSTRE

Une classique chicane père-fils est à l’origine de l’a bête martienne. En 1923, le père, Frank C. Mars, fait du chocolat dans la ville de Minneapolis et connaît du succès avec les barres Snickers et Milky Way. Le fils, Forrest Edward Mars, considéré comme le mouton noir de la famille, est incapable de s’entendre avec le bonhomme au travail, et sacre son camp en Angleterre avec un peu d’argent afin de prouver qu’il est capable lui aussi.

Avec les moyens du bord, il invente et lance, en 1932, la barre Mars — qui n’est, en fait, qu’une copie conforme de la Milky Way à quelques nuances près — et le succès est fracassant.

Quand le père Frank décède quelques années plus tard, le fils Forrest décide de regrouper toutes les activités martiennes sous une entreprise internationale, créant ainsi une bête qui n’a cessé de prendre de l’expansion depuis.

AUTRES MOUVEMENTS DE LA BÊTE 

+ En 1935, Mars a été une des premières compagnies à pousser les limites logiques de la diversification en achetant Chappel Brothers, une firme britannique qui produit la populaire bouffe à chien « Chappie ». En 2017, le monstre continuait de miser sur minou et pitou en faisant l’acquisition de la chaîne américaine d’hôpitaux vétérinaire VCA pour la modique somme de 9,1 milliards de dollars US.

+ On dit souvent que la technologie développée durant les guerres sert ensuite au peuple ; c’est précisément ce que Mars a fait en 1943 avec son riz à cuisson rapide. Grâce à une technologie développée en Angleterre, dont Forrest a fait l’acquisition, Mars vend du riz pré-cuit à l’armée américaine tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, la bête offre son nouveau produit au peuple, qui arbore désormais le nom et une photo d’un fermier de riz avoisinant afin d’augmenter ses ventes. En 1952, Uncle Ben’s devient le riz le plus populaire au pays. Et le prix supposément payé au fermier pour utiliser sa photo ? 50 $. Oui. Les monstres fonctionnent comme ça. Et cette année, en marge du mouvement Black Lives Matter, Mars a opté de changer le nom de son riz pour « Ben's Original ». C'est déjà ça.

+ En 2008, Mars frappe un coup de circuit en avalant la compagnie Wrigley’s, fabricant de la trôlée de gomme à mâcher qu’on connaît. Valeur de la transaction : 23 milliards de dollars US, preuve encore une fois que le chocolat peut être très, très payant.

TOUS LES MONSTRES