LE MICROBIOME

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Textes, recherches et montage: Stephane Banfi

Sauf si vous êtes un personnage du film Alien ou si vous avez déjà été enceinte, vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’on a tous, à différents degrés, des corps étrangers qui vivent à l’intérieur de nous. Partout en fait. Et par milliards. Oui milliards. Et ces bibittes microscopiques, qui se cachent un peu partout sur et dans notre corps, jouent un rôle crucial dans plusieurs aspects de notre santé, y compris la digestion, l’immunité et la santé mentale — entre autres. Cette semaine aux Explorateurs culinaires, on vous propose un voyage fantastique dans le monde du minuscule qui relève de la science-fiction, afin de tenter d’élucider cette flore et cette faune mystérieuses qui nous habitent et qui nous veulent du bien, au coeur de nombreuses récentes découvertes stupéfiantes sur le fonctionnement de notre corps : le microbiome. On plonge dans l’univers du petit en compagnie du Dr Irah King, directeur du Centre de recherche sur le microbiome de l’Université McGill.

Malgré tous les bains floraux à la lavande que vous prenez, vous n’y échapperez pas : nous avons partout sur nos beaux corps, et particulièrement dans notre gros intestin, l’équivalent microscopique de la forêt de l’Amazonie, avec tous ses arbres, plantes, créatures et insectes qui pullulent et se multiplient constamment, ce qu’on appelle communément le microbiome. À vrai dire, on retrouve une panoplie de microorganismes partout sur notre corps et surtout dans nos orifices (quelle belle image), mais disons que LE party de bibittes par excellence se déroule dans notre gros intestin.

« Par exemple, on retrouve des trillons — 10 exposant 14 — de bactéries dans un gramme de matière fécale. Alors vous pouvez imaginer combien de bactéries vivent dans notre intestin, qui est de la longueur d’un terrain de tennis », explique le Dr King, qui est aussi immunologue.

On y retrouve entre 300 et 500 espèces de bactéries, certaines étudesparlent de plus de 800 — les chiffres varient —, des champignons, des êtres vivants constitués de cellules uniques qu’on nomme des archées et même des virus.

« C’est incroyablement varié, mais les dernières études disent que nous avons autant de cellules de bactéries que de cellules humaines dans l’intestin. »

Côté génétique toutefois, l’humain possède entre 20 000 et 25 000 gènes, alors qu’on trimbale dans nos tripes 3,3 millions de gènes microbiens.

On prend une petite pause, pour bien saisir.

C’est donc dire que sur le plan purement mathématique (et génétique), nous ne sommes pas, techniquement, humains.

« Ce n’est pas une chose à laquelle on pense quand on se lève le matin », avoue le Dr King.

Par contre, cela aide enfin à expliquer le beau-frère.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Afin de garantir sa survie et sa lente évolution, l’être humain a dû façonner un monde microbien intérieur pour l’aider à mieux survivre, tout comme il a dû s’adapter et vivre en harmonie avec le monde vivant extérieur — chose qui n’est pas toujours évidente quand on se promène sur le boulevard Taschereau en janvier, on en convient.

« Les bactéries étaient là avant nous, et le microbiome est vraiment une propriété de notre co-évolution. Nous avons appris à vivre en présence de nos bactéries et les bactéries ont appris à nous coopter ou à nous utiliser comme riches sources d’énergie », explique le Dr King.

La « start-up » initiale de notre microbiome, qui sera unique en son genre, nous provient avant tout de maman ; la théorie bien établie est que nous l’obtenons à la naissance alors que notre mère accouche.

« Il a été suggéré que les bébés nés par césarienne pourraient être plus susceptibles de développer des allergies et de l’asthme, mais nous avons encore besoin de plusieurs années d’études pour en avoir le cœur net. »

Autre élément hyperimportant pour peupler notre univers intérieur : le lait maternel.

« Le lait maternel a un effet énorme. Il contient son propre microbiome, mais aussi de nombreuses autres fonctions qui peuvent modifier la structure du microbiome. »

Le lait maternel est à ce point important qu’en plus de contenir des protéines essentielles, des gras et des vitamines, il est composé de sucres complexes qui ont, en fait, un seul but : favoriser la croissance des bonnes bactéries chez bébé.

Puis, au fil des ans, notre microbiome évolue, se multiplie et se transforme, tout dépendant de notre environnement ou de notre exposition aux antibiotiques qui peuvent détruire des colonies de bonnes bactéries d’un seul coup. Règle générale, plus nous sommes exposés à jouer dehors, dans la terre, avec des animaux, à se coller la langue sur des poteaux gelés (peut-être pas), plus notre microbiome s’épanouit. Et puis, évidemment, il y a tout ce qu’on mange.

Le système digestif de votre fabuleux corps est, en grande partie, un immense tube éponge qui, de la bouche jusqu’à l’anus, n’a qu’un seul objectif : sucer, saper et absorber le plus de nutriments de ce que vous vous balancez dans le gosier toute la journée pour ensuite redistribuer tout ce dont vous avez besoin pour maintenir votre beau beachbody en santé et vous donner de l’énergie pour votre cours de spinning à 19 h 30 les mercredis.

Cela commence donc par la bouche. Cela se poursuit dans l’estomac puis tout le long de l’intestin grêle (ou le petit intestin, même s’il mesure en moyenne sept mètres) avec l’aide du pancréas et du foie. Et finalement, juste quand votre corps a terminé d’absorber tous les vestiges de votre dahl, les restes sont expédiés vers le gros intestin, où des pelotons de bactéries, perchés par millions le long de l’enveloppe muqueuse de votre côlon, attendent patiemment pour prendre votre matière fécale d’assaut, comme des ados se lançant sur un buffet chinois, en hurlant collectivement : « WO. On n’a pas fini. »

Et c’est là que le microbiome opère sa magie.

« Le microbiome joue un rôle crucial dans la décomposition des aliments que nous mangeons et nous aide à en absorber les nutriments. Au fil du temps, il nous aide également à développer notre système immunitaire », explique le Dr King.

Mais comment ?

Oui, cette belle faune nous aide à terminer de digérer et de « processer » des aliments que nous serions autrement incapables d’assimiler. Mais il y a une condition importante : contrairement à vos ados, ces créatures ne mangent pas n’importe quoi.

En fait, les études démontrent que deux catégories d’aliments sont plutôt essentielles à leur bon fonctionnement : la fibre et les aliments fermentés.
C’est d’ailleurs pour cela qu’on nous répète ad nauseam que « la fibre favorise le transit intestinal » ; la fibre — des molécules qui composent la structure des fruits, légumes, grains, noix et légumineuses — est en soi indigeste et passe donc notre système digestif sans réclamer 200 $, jusqu’à ce que notre microbiome s’en mêle et s’en nourrisse.

Lorsqu’elles sont bien nourries, ces bactéries produisent des acides gras à chaîne courte qui nous aident à optimiser notre système immunitaire, mais aussi notre sommeil, notre humeur ou même l’obésité. En effet : « Si vous prélevez un échantillon de matières fécales d’une personne obèse et que vous l’administrez à une souris, il la fera grossir. Le microbiome modifie donc l’ensemble de notre métabolisme et la façon dont nous digérons, absorbons et exploitons l’énergie des aliments. »

L’équipe du Dr King a même décelé les effets du microbiome sur la douleur (vous avez bien lu) et a réussi à réduire la douleur chez des femmes atteintes de fibromyalgie, une maladie encore inexpliquée qui provoque une souffrance constante et généralisée, grâce à une transplantation… fécale provenant de patients en santé.

« C’est une des plus belles histoires que nous avons sur le microbiome, avoue-t-il d’emblée. Les résultats sont très préliminaires, mais il semble que cela améliore leur sensibilité à la douleur. »

Donc, plus on maintient ces bibittes fortes et en santé et on garde une variété diversifiée de microbes, plus notre système immunitaire semble prompt, capable et « entraîné » à répondre à des maladies, comme si le fait d’avoir de bonnes bactéries fortes et florissantes nous prédisposait à mieux lutter contre des bactéries ou virus nocifs.
« Je ne veux pas dire que le microbiome est le seul facteur qui peut guérir ou causer une maladie, je pense vraiment qu’il y a aussi une composante génétique , ajoute-t-il. Mais je pense que la raison pour laquelle le microbiome touche à tout est que le système immunitaire est le seul système capable d’entrer et d’avoir un impact sur tous nos tissus, en passant par l’intestin, où il est éduqué. »

Tout comme l’humain a un effet dévastateur sur son environnement, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’au fil des ans, on a eu la même touche magique sur notre espace intérieur.
Les résultats ne se quantifient pas en tornades, feux de forêt ou ouragans — quoiqu’on sait tous qu’une poutine Michigan all-dress avant de se coucher peut causer tous ces effets — mais plutôt dans la baisse de diversité de notre microbiome. La cause principale ? La malbouffe, les produits ultra-transformés, le gras et tout ce qui est pauvre en fibre.
Comme le confirme le Dr King sans hésitation : « Le régime alimentaire que nous suivons va certainement affecter notre microbiome. »
D’ailleurs, lorsqu’on demande au docteur une recommandation toute simple pour garder son microbiome en santé, il semble un peu mal à l’aise de la simplicité de sa réponse.

« Je pense qu’il est presque décevant de ma part de dire qu’il faut avoir un régime alimentaire varié comprenant beaucoup de fruits et de légumes », admet-il.

À ce sujet, quelques études pour appuyer ses propos :

  • + Les chercheurs du American Gut Project (qui a été rebaptisé The Microsetta Initiative) ont trouvé que les personnes qui mangeaient 30 types de plantes différentes ou plus par semaine avaient des microbiomes plus diversifiés que ceux qui n’en mangeaient que 10 ou moins par semaine.
  • + Lors d’une récente étude menée auprès de 1425 personnes aux Pays-Bas, les chercheurs ont conclu que les personnes avec un régime alimentaire riche en aliments transformés et en aliments gras d’origine animale présentaient des niveaux plus élevés de bactéries destructrices qui produisent des toxines nuisibles à l’intestin.

Par ailleurs, pendant que la fibre aide à maintenir le microbiome en santé, des scientifiques de l’Université Stanford ont découvert que les aliments fermentés, comme la choucroute, le kéfir ou le kimchi, ont été beaucoup plus efficaces pour augmenter sa diversité.

« Les aliments fermentés sont un domaine en plein essor. Il ne s’agit pas seulement de manger des aliments fermentés en général, mais de savoir quels types d’aliments présentent le plus d’avantages, car ils nourrissent certaines bactéries appelées lactobacilles dans notre intestin, qui peuvent non seulement produire des acides gras à chaîne courte, mais aussi réguler notre métabolisme et induire d’autres propriétés anti-inflammatoires », ajoute le Dr King.

Mais une des études les plus éloquentes sur le sujet demeure celle effectuée sur le microbiome de la tribu des Hadza, en Tanzanie, qui, comme vous vous en doutez, ne vit pas dans un bungalow de banlieue et ne se balade pas en VUS. En fait, les Hadza sont des nomades vivant encore comme des chasseurs-cueilleurs, se nourrissant principalement de baobab, miel, tubercules, fruits et viande sauvage, le tout sans jamais utiliser de carte AirMiles.

Avec très peu d’accès à la médecine moderne, ils n’en ont curieusement pas trop besoin, du moins, beaucoup moins que d’autres habitants du nord de la Tanzanie. La raison ?
Le microbiome des Hadza est nettement différent de celui des habitants des pays industrialisés, avec une plus grande diversité — certaines bactéries étaient jusqu’ici inconnues ! — et une plus grande stabilité, qui sont des facteurs clés de la santé du microbiome. Même par rapport aux Italiens carburant au régime méditerranéen, dont on fait l’éloge, les Hadza avaient une plus grande variété microbienne.

Les chercheurs ont aussi trouvé un autre élément intéressant : le microbiome des Hazda changeait, de façon cyclique, suivant les saisons et selon ce qu’ils trouvaient à se mettre sous la dent.

Ce qui soulève la question :

À ce sujet, on se permet une parenthèse pour partager une expérience fascinante de 2015 qui a révélé l’impact majeur qu’avait l’alimentation sur notre microbiome, son évolution et ses effets sur notre santé.

Des chercheurs de Pennsylvanie ont pris deux groupes de 20 hommes, âgés de 40 à 65 ans.

Le premier groupe était composé d’Afro-Américains qui habitaient Pittsburgh, où le taux de cancer colorectal est assez élevé, soit 1 adulte sur 1 500. Le deuxième groupe venait d’un petit village d’Afrique du Sud, à KwaZulu plus précisément, où le cancer colorectal est pratiquement inexistant. (Au Canada, le cancer colorectal est la deuxième principale cause de décès par cancer chez l’homme et la troisième chez la femme.)

Pendant deux semaines, on a donc suivi les repas des deux groupes et constaté que l’apport en protéines et graisses animales était deux à trois fois plus élevé chez les Américains. Les glucides et la fibre étaient plus populaires chez les Africains, ce qui n’est pas surprenant, puisque les Américains carburaient aux saucisses et crêpes pour déjeuner, des hot-dogs et spaghettis à la viande le midi et rosbifs et patates pilées le soir. Du côté africain, on misait nettement plus sur le végétal, avec, par exemple, des épinards et poivrons au déjeuner, des tranches de mangue et une salade de kale pour le lunch, et une salade de patates africaines au souper.
Après deux semaines, les chercheurs ont fait une analyse approfondie du microbiome des deux groupes pour identifier la flore intestinale. À la colonoscopie, des polypes ont été trouvés et retirés chez neuf Américains… mais aucun chez les Africains. Et sans tomber dans les termes techniques — que vous trouverez ici —, les Américains avaient de l’inflammation et de la prolifération de muqueuses, qui sont associées à un risque de cancer.

Puis, coup de théâtre : les deux groupes se sont échangé leur bouffe. Pendant les deux semaines suivantes, les Africains se sont mis aux steaks et saucisses, et les Américains ont plongé dans le végétal.

En seulement 14 jours, le microbiome de chaque groupe s’est complètement transformé, comme une mutation magique outre-mer d’un groupe à l’autre, avec tous les avantages et risques qui s’ensuivent. Remarquablement, le changement a réduit les taux de prolifération et de risque chez les Afro-Américains à des niveaux inférieurs à ceux des Africains au départ, alors que les taux ont augmenté chez les Africains à des niveaux supérieurs à ceux des Afro-Américains au départ.

Et tout cela, en deux petites semaines.

Quels autres secrets se cachent dans le microbiome ?

Pour mieux percer et élucider ses mystères, l’équipe du Dr King à l’Université McGill a créé deux outils ou plateformes (pour utiliser un terme populaire) : la première est essentiellement animale, constituée de souris complètement stériles et génétiquement identiques, que son équipe peut par la suite coloniser de bactéries afin d’en mesurer l’effet.

« Nous pouvons donc évaluer directement l’influence de ces microbes sur tout ce que nous voulons savoir chez l’animal : fonction cardiaque, fonction cérébrale, fonction pulmonaire, fonction hépatique, fonction intestinale, fonction immunitaire, développement d’une maladie ou protection contre celle-ci. C’est vraiment la référence absolue de la recherche sur le microbiome. »

La seconde plateforme lui permet d’analyser des échantillons de matière fécale en laboratoire, pour plonger dans la structure moléculaire du microbiome, et tenter d’identifier son ADN, pour mieux comprendre le fonctionnement de tout ce qui vit dans nos intestins. Et aussi, de cultiver des bactéries similaires en étudiant leur fonctionnement.

« En cultivant une bactérie et en lui donnant des conditions de croissance différentes, nous pourrons peut-être constater que ces deux bactéries qui semblent identiques en termes de séquence génétique fonctionnent en fait différemment. »

Car pour le Dr King, il ne s’agit pas simplement de savoir quelle bactérie fait quoi, mais aussi d’identifier comment chaque soucheinteragit avec les autres.

« En réalité, nous devons comprendre comment les bactéries interagissent avec nous, mais aussi comment elles interagissent entre elles. Et ce que nous ne comprenons pas encore, c’est comment les bactéries s’appuient les unes sur les autres et communiquent au sein de cette communauté pour avoir un impact sur nous. »

L’arrivée de l’intelligence artificielle ouvre soudainement des possibilités incroyables sur notre capacité de mieux comprendre ce rôle complexe de ces milliards d’organismes.

« Nous devons profiter de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique pour être en mesure de générer des algorithmes permettant de résoudre ces problèmes biologiques extrêmement complexes. Et je peux vous dire que la science que je pratique aujourd’hui est complètement différente de celle que je pratiquais il y a dix ans. »

Tout cela laisse donc présager un avenir pas si lointain où la médecine pourrait devenir hyperpersonnalisée, ou un médicament pourrait être développé et ajusté selon le microbiome d’un patient, pour s’assurer qu’il fonctionne mieux.

Lorsqu’on lui parle de l’avenir du microbiome, le Dr King est assez catégorique : « Mon travail ici est sans fin. »

Des milliers de milliards de bactéries. Que l’on peut coloniser. Étudier avec l’intelligence artificielle. Cultiver en labo. Que l’on s’échange avec des échantillons de selles. Qui communiquent entre elles. Et qui s’unissent pour lutter contre des maladies. Il n’y a pas à dire, on nage en pleine science-fiction.

« Oui, conclut-il. Jusqu’à tant que cela soit de la science. Et plus de la fiction. »

(Publié le 3/11/23)

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