C’est un débat gigantesque qui fait rage depuis la nuit des temps. Et qui soulève les passions. On ne parle pas du 4e trio du Canadien mais plutôt du débat entourant la protéine animale versus la protéine végétale. Certains diront que pour obtenir de vraies protéines — et un beachbodycomplet — rien ne bat un steak de trois pouces d’épaisseur baignant dans son sang.  Pendant ce temps, les véganes féroces préconisent qu’on puisse parfaitement aller chercher tout ce dont on a besoin dans le merveilleux monde des plantes.

Pour clarifier tout cela, cette semaine les Explorateurs culinaires se penchent sur la question en examinant ce que la science nous dit à ce sujet. Et au passage, on en profite pour poser quelques questions à la Dre Susan Levin, directrice de l’éducation nutritionnelle au Physicians Committee for Responsible Medicine, un organisme basé à Washington dédié à la promotion de la médecine préventive, avec une orientation particulière sur la nutrition. Notre objectif : vous donner une meilleure idée du rôle que joue les protéines, et surtout, vous livrer un verdict définitif sur ce combat qui alimente des discussions monstres.

Mais avant de débuter, mettons une chose au clair : notre phobie collective entourant les protéines est nettement démesurée, puisqu’il appert qu’on n’en a pas besoin tant que cela et qu’on en consomme déjà trop en Amérique du Nord.

« Les carences en protéines sont presque inconnues aux États-Unis », nous explique la Dre Susan Levin. « Une femme moyenne a besoin d’environ 46 grammes de protéines par jour ; l’homme moyen environ 56. Et la recherche démontre que la plupart des Américains en consomment déjà trop. »

Le nouveau Guide alimentaire canadien abonde dans le même sens en recommandant que les aliments protéinés constituent un quart de notre assiette, en prenant la peine d’ajouter : « Vous n’êtes pas obligé de manger de grandes quantités d’aliments protéinés pour répondre à vos besoins nutritionnels. »  Car en manger trop peut nuire à la santé et peut même bloquer vos artères, selon une étude. Bon, maintenant qu’on a remis les choses en perspective, examinons les protéines de plus près.

QU'EST-CE QU'UNE PROTÉINE? 

Dire que les protéines servent uniquement à faire des muscles est l’équivalent de dire que le cerveau sert principalement à porter un chapeau. Oui, les protéines servent à bâtir des tissus musculaires, mais elles jouent un rôle si vaste et complexe dans notre fonctionnement que les associer uniquement à la largeur de nos mollets est un peu gênant. Car en plus de venir sous différentes formes et tailles, elles servent une multitude de fonctions : transporter des nutriments, bâtir notre système immunitaire, faire de l’insuline (qui est — surprise — une protéine), aider le sang à coaguler quand on se coupe, fabriquer vos dents, cheveux et cellules de la peau, réparer des tissus, fabriquer des enzymes. Bref, il y a une raison que leur nom nous vienne du mot grec « prôtos », qui veut dire « premier » ou « essentiel ». Mais il faut savoir que « protéines » est aussi un terme générique assez large, qui regroupe en fait une famille de molécules qu’on appelle les acides aminés. Et pour bien saisir la différence entre les protéines végétales et animales, on se doit de momentanément examiner ces acides de plus près et plonger dans un peu de chimie. Mais pas trop, promis.

LES ACIDES AMINÉS SONT À LA BASE DE TOUT 

Les acides aminés sont un peu les Légos qui servent à bâtir des protéines de toutes sortes. Ces molécules polyvalentes forment des chaînes qui s’arrangent, s’allongent, pivotent et se tortillent pour finalement accoucher d’une protéine sur mesure et selon la fonction qu’elle occupe dans notre corps. Besoin d’une protéine pour transporter de l’oxygène ? Les acides aminés vont s’enchaîner pour créer un modèle plus robuste et rond, avec même une poche au centre pour mieux recevoir l’oxygène (sérieusement). Un tendon ? On va opter pour un style plus fibreux et long. C’est vraiment aussi magique que cela. Et même si l’on parle d’enchaînement microscopique (évidemment), sachez qu’une minuscule anomalie sur ce plan peut causer de sérieux problèmes. Justement, les globules rouges du sang transportent l’oxygène des poumons vers le reste du corps grâce à — eh oui — une protéine : l’hémoglobine. Cette protéine est formée d’une chaîne de différents acides aminés, suivant une séquence complexe très précise. Mais si la séquence n’est pas respectée à la lettre — si quelques maudits Légos ne sont pas à la bonne place —, les répercussions sont désastreuses et peuvent causer l’anémie. Les acides aminés sont donc des blocs précis et précieux à la base de notre fonctionnement. Mais comme la vie microscopique est un reflet de la réalité, ils ne sont malheureusement pas tous créés égaux.

ALLONS À L'ESSENTIEL

On compte 21 acides aminés dans le corps humain et ils ont des noms un peu flyés qui font vedettes de groupes New Wave des années 80 du genre « alanine », « lysine » ou encore « valine ». Mais de cette vingtaine, il y en a neuf qui sont désignés « essentiels », parce que le corps ne peut les fabriquer. Donc, il faut absolument aller les chercher dans l’alimentation — preuve encore une fois qu’on est vraiment fait pour manger ce qui nous entoure.

Et c’est ici que le débat commence, puisqu’on nous a toujours répété que la viande animale était LA meilleure façon d’aller chercher toutes ces protéines dites essentielles du même coup — ce qui est partiellement vrai. Oui, que ce soit du poisson, du boeuf, du poulet, du porc ou même des oeufs, effectivement, toute la ménagerie contient les acides aminés essentiels. On trouve aussi dans la viande une vitamine qu’on n’a pas chez les plantes, la fameuse vitamine B12 (qui est, en fait une bactérie). Mais ce qu’il faut savoir, c’est que la viande n’est pas seule sur le podium à offrir des protéines complètes.

« Les plantes contiennent tous les acides aminés essentiels, seulement en quantités variables — certains grains peuvent en contenir plus, certaines légumineuses moins — ou vice versa, mais ils ne sont pas absents. Cela dit, les plantes comme le soya contiennent de grandes quantités de tous les acides aminés essentiels », explique la Dre Levin.

On peut donc très facilement élargir et compléter la palette de protéines essentielles du côté végétal en mangeant une alimentation variée — légumineuses, grains entiers, noix, légumes  — , ce qui explique notamment ce concept fou que plusieurs peuples ont eu pendant des siècles de manger des plats traditionnels comme « du riz et des fèves ».
On a aussi longtemps cru qu’il fallait manger les différentes protéines végétales en même temps — ce qui est faux. Le corps est capable d’aller chercher tout ce dont il a besoin, même si on n’ingère pas tout cela simultanément.

Et finalement, manger de la viande pour son apport en protéines est un peu l’équivalent de fumer des cigarettes pour se réchauffer. On veut bien. Mais il y a d’autres facteurs atténuants dont il serait bon de tenir compte. Voyons voir.

LA VIANDE EST DANGEREUSE 

Cela ne fait pas partie des campagnes publicitaires de votre burger préféré, mais lorsque vous mangez de la viande, vous avalez aussi des choses qui sont, à long terme, extrêmement nocives pour la santé. Par exemple, du gras saturé. Et du cholestérol. Pas besoin de vous dire que ce duo a des effets dévastateurs sur votre santé, et qu’ils sont directement liés au tueur en série numéro un au pays et sur la planète : les maladies du coeur.

« Ce que vous obtenez de la viande, c’est un risque accru de maladie chronique et de décès. Les preuves montrent que les régimes riches en protéines animales peuvent en fait entraîner une mort prématurée », poursuit la Dre Levin. Quelles preuves, vous dites ?

Tout cela, pour quelque chose, rappelons-le, dont nous n’avons vraiment pas besoin pour vivre. Et qui en plus, nous fait mourir un peu plus vite à chaque bouchée.

UNE DERNIÈRE CHOSE 

On s’en voudrait de le passer sous silence, mais en 2015, l’Organisation mondiale de la santé — c’est-à-dire la plus haute instance de la santé sur la planète — a statué, après analyse de plus de 800 études par 22 experts de 10 pays différents, que la viande rouge était « possiblement cancérigène » et que la viande transformée était un cancérigène Groupe 1. Sans surprise, cela n’a pas fait son chemin sur les étiquettes des produits au supermarché, mais le dossier demeure tout de même classé. C’est donc dire que le bacon ou les saucisses à hot dog se retrouvent sur la même liste noire que l’amiante, le plutonium et le tabac. Bon appétit.

LE VERDICT 

On le sait, notre patrimoine culinaire fait partie de qui nous sommes. Et notre notion de « ce qui est bon à manger » est à la fois culturelle, personnelle et aussi, parfaitement arbitraire ; une fausse perception qui provient en grande partie de souvenirs d’enfance ; un comportement conditionné par un mélange de plaisir, saveurs et tradition, et par du marketing à répétition. Car il est grand temps de se rendre à l’évidence : notre concept d’une bonne bouffe est largement basé sur notre expérience, et non la science.

Mais malheureusement, en 2019, avec près de 834 millions de bêtes abattues au Canada et plus de 132 000 décès au pays liés au cancer et aux maladies du coeur, la dure réalité scientifique est la suivante : notre conception d’un « plat principal » est désormais en grande partie la cause principale de nos trépas.

Et cela commence, tout bêtement, par notre appétit démesuré pour la protéine animale. Face à toutes ces preuves, on peut continuer de croire — et de manger — ce qu’on veut. Mais le verdict est assez clair. Et il semblerait que nous sommes un peu les King Cons de la farce.

Textes, recherches et montage: Stephane Banfi

(Publié le 15/04/2021)