Tous les êtres humains possèdent des caractéristiques intrinsèques qui nous unissent.
Ce pouvoir d’aimer et de partager.
Cette capacité de rester des heures devant un écran à regarder les pires banalités.
Et du Teflon qui coule dans nos veines.

C’est ce que nous rappelle le film Dark Waters sorti la semaine dernière, qui retrace l’incroyable histoire de la plus grande contamination à l’échelle humaine qui a commencé, notamment, par un produit miracle que nous avons tous côtoyé à un moment dans nos cuisines : la poêle en Teflon.

Comment on en est arrivé là
En 1998, les vaches d’un fermier de Parkersburg, en Virginie-Occidentale, meurent mystérieusement de maladies aussi atroces qu’inexplicables. Il se tourne vers l’avocat Rob Bilott qui passera les 20 prochaines années de sa vie à talonner la compagnie chimique DuPont. Des documents internes révèleront que la compagnie a déversé des tonnes d’un produit toxique dans les champs avoisinants, polluant ainsi les cours d’eau de la région ainsi que la nappe phréatique.

Mais malheureusement, ce n’est que le début de l’histoire d’horreur.

Le produit en question
Une invention des génies de la compagnie 3M, l’acide perfluorooctanoïque (communément appelée PFOA en anglais ou encore C8) est un produit synthétique utilisé comme antiadhésif sur tout ce qui nous entoure : emballages pour fast food, de vêtements imperméables genre Gore-Tex, des boîtes à pizza, de sacs à pop-corn pour micro-ondes, des tapis, la soie dentaire et, malheureusement, les poêles en Teflon.

Le problème
Une minuscule présence du produit peut causer le cancer du rein et des testicules, des maladies de la thyroïde, un taux de cholestérol élevé, ou encore, des malformations à la naissance. Toutes ces maladies et complications ont d’ailleurs fait leur apparition dans la région à la suite du dumping industriel de DuPont. Évidemment, DuPont a nié et combattu au fil des ans.

DuPont savait tout cela depuis un maudit bout
Dès les années 60, les scientifiques chez DuPont savaient pertinemment que le C8 était toxique. Résultat ? On enterre environ 200 barils du produit sur les rives de la rivière Ohio près de l’usine. On choisit aussi d’expédier des barils de déchets toxiques sur des barges en ajoutant des pierres pour les faire couler à la mer. Quand un brave pêcheur met la main sur un baril par inadvertance, la compagnie change de tactique et se tourne vers l’enfouissement terrestre.

En 1981, alertée de la dangerosité du C8 par la compagnie 3M (les génies qui ont créé le produit), DuPont réaffecte toutes les femmes travaillant de près avec le C8 à d’autres tâches. De plus, la compagnie effectue un suivi sur les femmes enceintes qui travaillaient à la production. Selon une note interne, deux des sept bébés sont nés avec des malformations, mais DuPont n’a jamais rendu l’information publique.

Pourquoi on parle encore de cela aujourd'hui? 
Même si cette histoire à rendre malade a fait l’objet d’un premier article dans le New York Times en 2016, puis d’un documentaire à vous glacer le sang intitulé The Devil We Know en 2018 et maintenant d’un film, la bataille se poursuit.

  • + Oui, en 2005, DuPont a été mis à l'amende par l'Environmental Protection Agency et a payé le montant dérisoire de 16 millions $. (Note pour mettre tout cela en perspective : DuPont avait une chiffre d'affaires de 46 milliards $ en 2005).
  • + En 2015, DuPont a finalement convenu de payer 671 millions $ afin de régler plus de 3 500 poursuites. La même année, la compagnie a finalement arrêté d'utiliser le C8, le remplaçant par un nouveau produit jugé sécuritaire du nom de Gen-X (riiiight). Le Gen-X est fabriqué par une toute nouvelle société au nom poétique, Chemours, qui a été créée en 2015... par DuPont.
  • + Au mois de mai dernier, le New Hampshire s'est joint à plusieurs autres états en déposant une poursuite accusant notamment DuPont et 3M d’avoir sciemment contaminé leur eau potable.
  • + La semaine dernière, DuPont a tenté de rouvrir certaines anciennes causes devant un tribunal de l’Ohio, plaidant qu’il y avait eu négligence, mais le juge a bloqué la requête.
  • + Finalement, on ne veut pas vous faire peur, mais le C8 est seulement un produit synthétique parmi plus de 80 000 au monde qui ne sont pas réglementés par le autorités environnementales.

Résultat
Selon une analyse de 2007 des données fournies par les Centers for Disease Control, le C8 est dans le sang de 99,7 % des Américains, et se retrouve également dans tous les animaux qui ont été testés par des scientifiques — même les ours polaires.

En fait, le produit est si omniprésent à l’échelle mondiale qu’on parle désormais d’une contamination planétaire.

Autrement dit, grâce à une poêle antiadhésive, le Teflon nous colle désormais à jamais à la peau.

Et nous fait graduellement la peau.

(Publié le 6/12/2019)