Dans notre monde alimentaire de plus en plus technologique et chimique, James Kennedy livre un message aux antipodes de la tendance bio actuelle  — ce qui est peut-être prévisible, puisqu’il vit en Australie. Professeur de chimie et auteur du livre Fighting chemophobia, il a notamment attiré l'attention en publiant sur son blogue des fiches alimentaires de produits naturels comme la banane, le kiwi ou les bleuets— avec leur liste complète des composantes chimiques. Son message est à la fois percutant et controversé : notre monde entier est «chimique», donc il faut ne faut pas nécessairement capoter en voyant des gros mots sur nos étiquettes. Tout est dans le dosage. Et, toujours selon le professeur, notre phobie des produits chimiques et des pesticides est démesurée. Les Explorateurs culinaires l'ont rejoint Down Under pour obtenir un point de vue qu'on pourrait qualifier de différent. Vraiment. À vous de juger.

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Vous dites que notre préoccupation collective concernant les produits chimiques dans notre alimentation est irrationnelle…

Oui, elle l’est. La chimiophobie est une aversion ou peur des produits chimiques qui sont perçus comme toxiques, synthétiques ou autre. Ces types de phobies s'apparentent davantage à une personne devenue islamophobe en regardant une chaîne de nouvelles particulière ou homophobe en étant exposé à des messages particuliers. La bonne nouvelle c’est qu’il ne s’agit pas d’une véritable phobie clinique. En modifiant la qualité de l’information que nous diffusons et en aidant à mieux communiquer avec les gens, en leur enseignant la science et la chimie, nous pouvons réellement aider les gens à surmonter cette phobie, pour qu’ils se sentent mieux. Parce que le terme «chimique» est si vaste qu’il englobe littéralement tous les objets physiques de l’univers. Cela n’a aucun sens de juger de la qualité ou de la sécurité d’un aliment en utilisant ce terme. Et en plus de la substance, il y a son utilisation, son dosage - on ne peut donc pas l’utiliser pour juger si tout sur Terre est «bon» ou «mauvais».
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Mais la nourriture est un élément vital, n'est-il pas normal d'être préoccupé par la façon dont elle est produite?

 

Historiquement, produire et consommer notre propre nourriture faisait partie intégrante de nos vies de village. C’est une chose humaine qui remonte au début de l’agriculture. Toutefois, nous constatons aujourd’hui une tendance intéressante dans certains pays développés — aux Royaume-Uni, aux États-Unis en Australie et en Nouvelle-Zélande, notamment — où nous nous détachons volontairement de la manière dont nous produisons notre nourriture. Par exemple, nous ne voulons pas manger de la nourriture qui ressemble trop à des animaux, nous ne voulons pas manger de poissons ou de poulets avec la tête, nous sommes devenus un peu dédaigneux, ce qui est étrange car la plupart des autres pays ne le sont pas. C'est une tendance dans certains pays de l'Occident et c’est justement ces pays plus «délicats» qui sont les plus chimiophobes. Ils ont cette étrange attitude envers la nourriture : elle doit être propre et clinique, mais elle doit aussi être naturelle en même temps, et ils ne sont jamais satisfaits tant que ces critères ne sont pas remplis. Donc, oui, il était naturel d’être préoccupé par les origines de notre nourriture, mais plus maintenant. Nous ne voulons pas savoir. Je ne suis donc pas surpris que nous soyons non seulement dégoûtés du fait que nous abattions des animaux mais aussi que nous ajoutions des produits chimiques à nos aliments. Et tout cela, pour aucune raison valable.
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Vous avez déjà mentionné que les grandes entreprises sont les mieux placées pour étudier et tester leurs pesticides. Les récents jugements contre Monsanto démontrent pourtant que la compagnie n’a pas averti les consommateurs des risques de cancer et qu’elle a agi avec négligence. Comment réconciliez-vous cela?

 

Toutes ces poursuites ont eu lieux aux États-Unis. Pendant ce temps, au Canada, qui a une culture similaire et environ le dixième de la population, il n’y a eu aucun procès. (Note des Explos: une première demande d'autorisation d'action collective contre Monsanto a été déposée hier au Québec, et une autre en Saskatchewan la semaine dernière.) Les amendes et les paiements exigés sont astronomiques, et n’ont pas vraiment de sens. Je pense que nous devons reconnaître que le système juridique — et le système politique aux États-Unis — est quelque peu brisée, et détachée de la science. C'est une tendance inquiétante aux États-Unis, mais ce n'est pas un reflet de la science. Maintenant, lorsque ces causes seront portées en appel, je vous garantis que les jugements seront renversés, mais cela ne fera pas nécessairement la nouvelle. L’histoire de David contre Goliath est plus intéressante. Alors oui, je pense que les décisions ne sont pas basées sur la science et qu’elle seront finalement renversées. Parce que si nous suivons cette logique, nous nous retrouverons dans 10 ou 20 ans avec des poursuites contre tous ceux qui ont déjà cultivé des fines herbes - car elles contiennent également des substances cancérigènes. Le chou, le céleri — cela va finir où ? Cela devient simplement ridicule.
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Les agriculteurs biologiques utilisent-ils des pesticides?

 

Bien sûr. Premièrement, les plantes elles-mêmes produisent 99,99% des pesticides que nous ingérons quotidiennement et il n’existe aucun moyen de les éliminer. Ce sont des armes chimiques naturelles produites par les plantes car elles ne peuvent fuir les insectes ni les prédateurs. Ces pesticides naturels sont donc toujours présents, quelle que soit la provenance ou la culture, de manière conventionnelle ou biologique. Les agriculteurs biologiques pulvérisent-ils des pesticides supplémentaires? Oui ils le font. Et dans certains cas, les pesticides sont tout aussi toxiques que les pesticides synthétiques utilisés dans les fermes conventionnelles. Mais cela ne devrait cependant pas nous inquiéter, car les doses sont réglementées et testées. Celles-ci ont fait l'objet de nombreux tests et, s'il est vrai que les fermes biologiques utilisent généralement moins de pesticides, ils ne montrent aucun effet secondaires sur la santé. En fait, cela contribue à améliorer les rendements, et aucune différence nutritionnelle n’a été démontrée entre les cultures d’agriculture biologique et conventionnelle.
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Quelle est LA chose que vous voulez que nos lecteurs retiennent au sujet des produits chimiques et des aliments?

 

Utilisez tout selon le mode recommandé et aux doses prévues. Tout est toxique, allergène ou cancérigène à des doses ridicules. Cela inclut le pain, les bananes, l'eau, le café, les pesticides ... tout. Faites toujours confiance à votre professionnel de la santé, qui est de loin la source d’information médicale la plus fiable. Enfin, sachez que les entreprises, particulièrement les jeunes entreprises et leur force de marketing, se livreront à l’acte hautement irresponsable d’utiliser des terme comme «naturel» comme substitut pour «sécuritaire et efficace». Un produit «naturel» ne dit rien sur sa sécurité ou son efficacité. L'arsenic, la botuline, la variole, le mercure sont tous naturels mais sont hautement toxiques. Les produits «naturels» ne sont donc pas nécessairement meilleurs ou pires que les produits conventionnels. Ne vous laissez pas avoir par ces revendications douteuses. Le monde est plus sûr et plus propre aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été. Enjoy it!

Le portrait en chiffres

2$ MILLIARDS

Somme que Monsanto a été condamné à payer, le 13 mai dernier, à un couple septuagénaire atteint du cancer, en Californie.

2 153

Nombre d’entreprises agricoles avec la certification biologique au Québec (comparativement à 1 025 en 2006).

10 466 753

Ventes totales, en kilogrammes, de pesticides au Québec en 2017, une diminution de 1,3 % par rapport aux ventes de 2016.

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Députés du Québec qui questionneront, en commission parlementaire à la fin mai, Santé Canada qui homologue les pesticides au pays, parfois en se basant uniquement sur les études fournies par les fabricants.