On ne s’ennuie jamais quand on parle à Marc-André Valiquette. Biologiste moléculaire et inventeur du système de contenants de jardin révolutionnaire BIOTOP, Marc-André nous avait prédit, il y a cinq ans, la popularité de la protéine d’insectes et il avait identifié le rôle anormalement important que continue de jouer le maïs dans notre alimentation. On le pensait fou; il avait vu juste. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Avec ses idées tranchantes et sa compréhension cristalline du monde agroalimentaire, il prône une révolution alimentaire hyperlocale depuis un quart de siècle. Nous l’avons rejoint entre deux réunions avec des investisseurs pour qu’il nous parle un peu des enjeux mondiaux alimentaires qui nous guettent, des grandes mouvances planétaires, et aussi pour savoir sur quoi il travaille au juste et où il en est avec sa révolution. Car au risque de se répéter : on ne s’ennuie jamais avec Marc-André Valiquette.
On a souvent prédit que notre système agroalimentaire, sous sa forme actuelle allait bientôt frapper un mur. Pourtant, rien ne semble changer. On en est où selon toi?
Il faut se rappeler que le système agroalimentaire actuel s’est installé de façon graduelle, lentement, au fil des ans. Et ce qui est le plus important pour tous les acteurs de ce secteur, c’est la stabilité et la prévisibilité des modèles de production qui assurent une croissance contrôlée et une certaine sécurité. Tout cela fait l’affaire des compagnies tant et aussi longtemps que les paramètres sociaux et climatiques sont stables. Maintenant, on arrive lentement à un point de rupture, qui vient bouleverser les choses graduellement. Premièrement, il y a les changements climatiques qui viennent justement menacer la stabilité et la prévisibilité de la production. On observe aussi l’effondrement des populations d’insectes pollinisateurs à cause des insecticides et des parasites, ce qui affecte la production, entre autres, de fruits. Et il y a aussi tout le volet financier. On constate que de plus en plus de producteurs agricoles ont de la difficulté à assurer leurs récoltes, c’est à dire, ils ne peuvent avoir une bonne compensation en cas de perte ou de destruction. Et un autre effet graduel qu’on devrait surveiller dans le monde agroalimentaire, c’est l’inflation. En 2016, on se souvient de la crise du chou-fleur, où on payait 8 $ pour ce légume. Aujourd’hui, c’est la crise du céleri. C’est très progressif, mais à mesure que notre monnaie perd de sa valeur et que notre environnement vient affecter la production, les aliments vont coûter plus cher. Tous ces facteurs vont tranquillement bouleverser notre système actuel et nous forcer à revoir nos façons de faire.
On prévoit une population mondiale de 10 milliards de personnes en 2050. On fait quoi alors?
Je pense que la réponse doit aussi venir graduellement. Mais il faut se rappeler que se nourrir n’est pas un privilège, c’est un droit fondamental. Donc, cela commence par une prise de conscience. Cela fait 25 ans que je prône l’agriculture urbaine, qui fait partie de la solution. Il ne faut pas penser que c’est LAsolution, mais c’est un élément important. L’agriculture urbaine fait partie de ce que j’appelle la révolution alimentaire hyperlocale : il faut manger local, produire local et distribuer local. C’est un mouvement citoyen qui doit se faire, une personne à la fois. Et cela commence par chaque petit geste qui est posé. Cela peut commencer par un loisir, jardiner sur son balcon, dans deux ou trois contenants, mais tranquillement, cela devient une passion. Puis, quand on voit le potentiel et la possibilité, cela devient une terrasse, une cour ou, éventuellement, un toit. Puis, on peut arriver à un certain degré d’autonomie. Par exemple, avec les bacs BIOTOP, j’ai vu des gens qui étaient parfaitement autonomes en production de légumes, petits fruits et fines herbes tout l’été — et puis ils ont eu assez de tomates et de cornichons pour se faire des conserves. Donc, c’est très faisable.
Mais est-ce que l’agriculture urbaine est une solution concrète et réaliste? Même au Québec?
Il faut réunir trois éléments gagnants : il faut premièrement avoir la technologie qui le permet. Il faut que cela soit abordable. Et il faut que le message soit bien diffusé. En réunissant ces trois conditions, je pense qu’on est capable de faire la promotion de cette révolution alimentaire hyperlocale. Oui, le climat du Québec n’est pas idéal, mais il faut se rappeler qu’il y a à peine 50 ans, nos cours arrière étaient des jardins très productifs pour faire pousser des betteraves, des radis, des légumineuses, des oignons, etc. Mais c’est certain que cela va prendre du temps. L’agriculture s’est traditionnellement faite dans des champs spécialement pour cela, mais les terres agricoles coûtent de plus en plus cher. Avec la technologie d’aujourd’hui, on peut recréer un terroir sur une toiture, comme au Palais des congrès par exemple. Chez Ubisoft, ils font pousser des vignes sur leur toit. De l’espace cultivable, il y en a donc énormément en ville, beaucoup plus qu’on pense. Il y a aussi des terrains contaminés qu’on peut simplement recouvrir d’une membrane et de gravier pour y installer un système de culture. Et il ne faut pas oublier qu’un couvert végétal est aussi la meilleure façon de lutter contre l’effet de l’ilot de chaleur urbain. Il y a 15 ans, c’était un sujet de conversation exotique ou académique, mais l’été dernier, il y a eu des morts ici-même à Montréal à cause de la chaleur. La meilleure façon de lutter contre ce phénomène, c’est de végétaliser le plus possible.
Justement, tu travailles sur quoi en ce moment?
Je travaille sur un nouveau système de culture en pot qui est encore plus performant — et plus abordable. En gros, on a repensé le système BIOTOP, en commençant par lui donner un nouveau look et design pour le rendre plus attrayant. On a créé une technologie plus avancée, notamment pour simplifier l’expansion de la racine; on n’utilise plus de vermiculite, qui contenait de l’amiante, et aussi on a mis au point un outil microbien pour contrôler la putréfaction dans les réservoirs d’eau et réduire les odeurs. Et finalement, on veut offrir tout cela à un prix concurrentiel. En gros, on a mis 10 ans de recherche pour arriver à un prototype de système de culture en pot qui est tout aussi — sinon plus — performant qu’une culture en pleine terre. Parce qu’on peut garder l’uniformité dans les paramètres de culture au sol, comme l’humidité, la température, et l’approvisionnement en éléments nutritifs. La plante est constamment nourrie, elle n’a qu’à se servir.
Qu’est-ce que tu veux que nos lecteurs retiennent de tout cela?
Deux mots : «nouveauté» et «inflation». Par nouveauté, je veux dire qu’il faut que les gens essaient des choses nouvelles quand on parle d’alimentation. Que cela soit devenir végétarien ou végétalien, la culture urbaine, essayer de nouveaux aliments comme le quinoa ou les algues — c’est plus qu’une mode, tout cela est une tendance d’avenir. Il faut que les gens essaient de nouvelles choses.Et en toile de fond, ce qui va encourager les gens à se lancer dans la production de légumes à domicile, c’est l’inflation. On peut accepter de payer une taxe sur le carbone, mais il existe une autre taxe, très insidieuse, qui s’appelle l’inflation, qui est un peu de la taxation sans représentation. De la façon qu’on fonctionne actuellement, on emprunte sur les générations futures simplement pour se payer un meilleur maintenant. À un moment donné, ce modèle va venir à échéance, et tranquillement, l’environnement va raréfier les ressources et le monde financier va dévaluer la monnaie. C’est ce que je vois. Il ne faut pas croire aux révolutions implémentées par les gouvernements. Une vraie révolution, c’est quand les gens prennent l’initiative, par eux-mêmes, d’apporter des solutions qui leur conviennent parfaitement. Tout cela est une adaptation à un environnement qui change, à des ressources qui se raréfient et à de l’argent qui perd sa valeur. C’est Voltaire qui disait : «La monnaie papier finit toujours pas retourner à sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire zéro.» Mais pendant ce temps-là, il faut manger.