Face à la vague d’obésité qui déferle sur le monde industrialisé, on pourrait croire qu’il s’agit là d’une conséquence inévitable de notre mode de vie moderne. On ne fait pas assez d’exercice. Les gens n’ont plus le temps de cuisiner. Etc. Mais se pourrait-il que le fléau de notre obésité collective soit, en fait, le fruit d’un travail acharné, d’un groupe sinistre qui, comme un méchant fêlé dans un film de James Bond, travaille dans l’ombre afin de maintenir coûte que coûte l’influence et les intérêts de la malbouffe sur la planète ?

Le New York Times levait le voile cette semaine sur une obscure compagnie du nom d’ILSI (pour International Life Sciences Institute) qui serait, hélas, bel et bien réelle et directement impliquée — pour ne pas dire responsable — du désastre qui nous afflige.

Les grandes lignes

  • Créé par un dirigeant de Coca-Cola, l’institut est actif dans 17 pays, il prend rapidement de l’expansion en Asie et en Amérique du Sud et il est majoritairement financé par les géants de l’industrie agroalimentaire comme Coca-Cola, DuPont, PepsiCo, General Mills et Danone.
  • Dotée d’un budget annuel de 17 M$, sa mission est à la fois sournoise, mais aussi très efficace : s’affichant comme un organisme scientifique sérieux et indépendant, ILSI cultive des relations et alliés au sein de différents gouvernements et universités, en recrutant scientifiques et représentants de gouvernements pour des conférences (dans des hôtels cinq étoiles, cela va de soi). Il organise aussi différents comités de travail afin d’élaborer des politiques sur l’alimentation — le tout dans le but d’influencer les décisions politiques en faveur des compagnies qui se cachent derrière l’institut.

Des exemples :

  • + En Chine, qui compte désormais le plus grand nombre d’enfants obèses au monde, l’institut partage son personnel et ses locaux avec l’agence chargée de la lutte contre l’épidémie d’obésité dans le pays. ILSI a d’ailleurs contribué à l’élaboration d’une campagne de sensibilisation contre l’obésité en Chine qui recommandait… de faire de l’exercice physique plutôt que de changer ses habitudes alimentaires. (Non, ce n’est pas une coïncidence.)
  • + Au Brésil, les représentants de l’ILSI occupent des sièges au sein de plusieurs comités sur l’alimentation et la nutrition qui étaient auparavant réservés à des chercheurs universitaires.
  • + En plus d’avoir défendu les intérêts du tabac dans les années 80 et 90, ILSI a reçu plus de 2 millions de dollars de compagnies agrochimiques, dont Monsanto. D’ailleurs, en 2016, un comité « d’experts » en sécurité alimentaire des Nations Unies avait soulevé un tollé en déclarant que le glyphosate, l’ingrédient du Roundup, le tueur de mauvaises herbes de Monsanto qui fait l’objet de plusieurs poursuites, n’était « probablement pas cancérigène ». Surprise : le comité était dirigé par deux responsables de l’ILSI, dont Alan Boobis, vice-président d’ILSI-Europe. (Avouez que c’est quand même fort.)

Les réactions
L’institut nie farouchement toutes les allégations et jure de son indépendance. Pendant ce temps, les fabricants de la barre Mars ont retiré leur appui à l’ILSI l’an dernier, « ne voulant pas participer à des études menées par des groupes de pression qui ont si souvent été critiqués, surtout pour les bonnes raisons ». Et en 2015, ILSI a perdu ses accès privilégiés auprès de l’Organisation mondiale de la santé, à cause justement de ses liens étroits avec l’industrie.

Mais ILSI poursuit néanmoins son « travail », plus récemment en Inde, où une recommandation gouvernementale d’apposer une étiquette rouge sur les aliments jugés dangereux pour la santé a été mystérieusement tablettée indéfiniment. 

Curieusement, dès qu'on parle de réglementer ou de légiférer l'alimentation dans un pays, le SPECTRE d'ILSI n'est jamais bien loin...

(publié le 20/09/2019)