Après plus d’un mois de confinement, on se permet une infolettre un peu plus introspective. Alors qu’on commence à parler de déconfinement et de retour très graduel à la normale, il serait peut-être bon de prendre le temps de justement se questionner sur ce qui est « normal ». Au cours des dernières semaines, on a tous eu plus de temps pour cuisiner. Manger ensemble. Jardiner. Ou s’écraser à regarder des séries en rafale sur Netflix, c’est selon. La nouvelle réalité du COVID-19 est certes une période d’anxiété et d’inconnu, mais elle peut aussi nous aider à mieux diagnostiquer ce qui ne tournait pas rond dans notre assiette et notre quotidien avant que tout cela n’éclate. Pour préparer le terrain à un éventuel retour dans un monde bien différent, on vous propose cinq pistes de réflexion sur notre alimentation. Parce que oui, ça va bien aller. Mais on devrait au moins prendre le temps d’y penser.

5 PISTES DE RÉFLEXION AU SUJET DE NOTRE ALIMENTATION 

À commencer par en manger moins ou, mieux encore, pas du tout. Parce qu’il serait bon de se rappeler ce qui est à l’origine de ce chaos planétaire : une invasion barbare soutenue du monde animale et un virus qui traînait sur une chauve-souris vivante, dans un marché public de Chine. Un rapport cette semaine de plusieurs experts en biodiversité est unanime : « Une seule espèce est responsable de la pandémie du COVID-19 — nous. La déforestation effrénée, l’expansion incontrôlée de l’agriculture intensive, l’exploitation minière et le développement des infrastructures, ainsi que l’exploitation des espèces sauvages ont créé une tempête parfaite pour la propagation des maladies de la faune aux populations. » Si vous pensez que nous sommes à l’abri de tels dérapages parce que la chauve-souris n’est pas au menu ici, on vous rappelle quelques faits troublants. Le mois dernier, une grippe aviaire a décimé un élevage de dindons en Caroline du Sud, mettant les autorités sur le qui-vive pour un risque de pandémie. En Angleterre, plus de 30 ans après que la maladie de la vache folle a forcé l’abattage préventif de quatre millions de pauvres bêtes, un récent documentaire souligne que certaines personnes sont désormais porteuses de la maladie, au nom terrifiant de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Et finalement, une nouvelle ahurissante qui a été éclipsée par le COVID-19 : tout juste avant la pandémie, un quart de la population mondiale de porcs a été dévastée par une épidémie de peste porcine africaine qui s’est propagée à travers la Chine (surprise), tuant quelque 300 millions de bêtesen Chine seulement. Et on soupçonne que la maladie peut également se transmettre aux humains. Bref, comme le soulignait si habilement le comédien Bill Maher la semaine dernière : « Vous n’avez pas à (manger moins de viande) par préoccupation pour les animaux. Faites-le parce que la cruauté envers les animaux conduit à une catastrophe humaine. »

À ce jour, on compte plus de 200 000 personnes mortes du coronavirus à travers le monde. Pendant ce temps, selon l’Organisation mondiale de la santé, il y a 17,7 millions de personnes qui sont décédées de maladies cardiovasculaires à travers le monde, soit l’équivalent de la population de la Hollande. Face à des chiffres aussi incroyables, et vu que les maladies du coeur sont la principale cause de décès dans le monde, est-ce qu’on ne pourrait pas aussi parler, ici, d’épidémie — mais parfaitement prévisible et même évitable ? On ne veut surtout pas minimiser les près de 3 000 tragédies que le virus a causées au pays, mais il n’en demeure pas moins qu’en 2018, 53 000 personnes sont mortes de maladies du coeur au Canada. Est-ce que le fait que ces décès ne soient pas systématiquement rapportés dans les médias, analysés et débattus rend le problème plus acceptable ? Ou est-ce que mourir d’une crise cardiaque fait désormais simplement partie de la vie ? Chose certaine, si près de 18 millions de personnes mouraient chaque année par contagion, cela engendrerait une panique mondiale. Mais vu que les morts sont principalement reliées à l’alimentation, curieusement, cela semble plus facile à digérer.

Après s’être fait dire ad nauseam de ne pas se mettre les doigts au visage, est-ce qu’on pourrait avoir le même réflexe de ne pas se mettre n’importe quoi dans la bouche ? Car c’est clairement une réalité qui a des effets dévastateurs sur notre santé collective. Au Québec, selon une récente étude de l’Institut national de la santé publique (INSP), l’obésité abdominale a doublé depuis 1990, passant de 21 % à 48 % chez les femmes et de 14 % à 32 % chez les hommes. De plus, l’obésité touche maintenant 40 % des adultes québécois, soit 2,3 millions d’entre nous. Dans le concret, cela veut dire que si vous êtes avec deux amis dans un resto au Québec, un d’entre vous est gros. (Les stats, c’est plate comme ça des fois.) Et tout comme la COVID-19, la cause principale de ce fléau se répand désormais aux quatre coins de la planète ; à mesure que s’implantent les restaurants de fast-food dans un pays, l’obésité pointe ses bourrelets, faisant des adeptes et des victimes de plus en plus jeunes. Les réactions de cette petite fille britannique lorsque sa mère lui annonce que tous ses restos préférés sont désormais fermés illustrent bien le problème. Au Canada, en 2018, la ministre de la Santé de l’époque, Ginette Petitpas Taylor, proposait un système d’étiquettes pour les produits malsains, dans le but avoué de nous aider à prendre des décisions plus éclairées sur notre alimentation, mais aussi, comme le démontre une étude, pour sauver des vies. Depuis, silence radio. On attend quoi ?

Dès qu’on essaie de changer son alimentation, on se fait immédiatement remettre sous le nez l’argument béton suivant : « Ben voyons donc, pourquoi changer ? On a toujours mangé comme ça ! »  En effet, nous avons cette conviction profonde que notre culture culinaire, tout comme notre religion, notre voiture ou notre cellulaire, sont une partie intrinsèque de qui nous sommes. En fait, il serait peut-être temps d’accepter que notre notion de « bonne bouffe » ou de « tradition culinaire » soit fondée sur de fausses perceptions qui découlent d’un mélange de souvenirs d’enfance, d’expériences personnelles et de marketing. Tout cela est arbitraire et programmé, un comportement appris et conditionné, tout comme la cuisine d’un pays est souvent créée par nécessité et selon la disponibilité des produits. La supériorité de cette « cuisine de chez nous » repose donc sur des sentiments et non sur de la science. À ce sujet, il est grand temps que la cuisine fasse son entrée à l’école, comme cours obligatoire au primaire, pour décortiquer et partager les bases scientifiques d’une bonne alimentation. Que cela soit un ragoût de pattes ou un civet de chauve-souris, ce n’est pas parce qu’on en a toujours mangé que c’est nécessairement bon pour nous. Si vous n’êtes toujours pas convaincu, on vous invite à relire les statistiques des blocs 2 et 3, plus haut. À haute voix, au besoin. 

On le sait, c’est toujours plus simple de cuisiner quand on a le temps. Ou quand on n’a pas le choix. Et les études démontrent également qu’on se porte mieux quand on mange à la maison. Alors on termine avec trois gros chiffres sérieux, qui en disent long sur nos priorités et nos habitudes de vie, avant cette pandémie. 

1 690 000. 

1 418 000. 

Et 1 297 000. 

Ce sont respectivement les cotes d’écoute pour les émissions District 31, Unité 9 et L’Échappée, telles que rapportées par le Journal de Montréal en décembre 2019. 

C’est donc dire que nous sommes une maudite grosse gang à prendre (ou perdre) volontiers du temps, qu’on n’a apparemment pas, sur une base régulière, pour voir comment se portent des personnages fictifs, mais on semble incapables de prendre du temps pour nous, de façon régulière, afin de cuisiner et se porter mieux. Trouvez l’erreur.

(Publié le 01/05/2020)