MONSTRES ALIMENTAIRES : CONCLUSION

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Si tout cela vous fait peur, dites-vous que le portrait des monstres alimentaires qu’on vous dépeint est malheureusement loin d’être complet.
Par exemple :
+ Tyson et JBS sont deux mastodontes alimentaires aux chiffres d’affaires annuels de plus de 40 milliards de dollars, qui se spécialisent dans la « transformation » de la viande.

+ Archer Daniel Midland est une immense multinationale agroalimentaire, avec 270 usines à travers le monde, impliquée de près ou de loin dans tout — mais vraiment tout — ce qu’on mange.

+ La compagnie Anheuser-Busch InBev brasse plus de 500 marques de bières, de la Corona à la Stella, en passant par la Bud Light et la Labatt Bleue — avec un chiffre d’affaires de 53 milliards de dollars.

+ Et sans oublier General Mills, qui compte parmi ses 89 marques des personnages aussi variés que le Bonhomme Pillsbury, le Géant Vert ou le Count Chocula — entre autres.

Mais on a plutôt choisi de vous présenter ces cinq gros monstres à cause de leurs tailles, leurs marques alimentaires familières et la tendance inquiétante qu'ils soulèvent.

Car quand on sait que le gouvernement américain s’apprête à traîner devant les tribunaux les géants du tech et du web pour leur monopole dans le domaine, on devrait sérieusement commencer à regarder ce qui se passe du côté de l’alimentation.

Dans ce petit portrait de famille qu’on vous a présenté, il y a cinq compagnies qui emploient l’équivalent de la population de la ville de Winnipeg pour nous faire avaler leurs 2 400 différents produits, et qui génèrent des ventes de plus de 330 milliards de dollars, soit plus que le produit national brut du Portugal.

Et plus ces monstres grossissent, plus ils ont des effets dévastateurs sur notre planète. Par exemple, quatre d’entre eux — Nestlé, PepsiCo, Mondelez et Mars — figurent dans la liste des 10 plus grands pollueurs de plastique au monde. Et c’est sans compter les effets collatéraux sur notre santé collective, alors que l’épidémie mondiale d’obésité, de maladies du coeur, de diabète et d’hypertension ne cesse de gagner du terrain.

Oui, on le sait : rien ne nous oblige à manger leurs produits.

Mais justement, il y a un dernier élément sournois à souligner dans les produits émanant de cette faune effroyable : ils sont invariablement confectionnés par des biochimistes qui savent élaborer, avec une précision démentielle, un produit outrageusement savoureux, qu’on va redemander et dont on peut non seulement difficilement se passer, mais aussi dont on peut facilement devenir dépendant. (Tous ceux qui ont essayé de ne manger « qu’une seule poignée de Doritos » savent de quoi on parle.)

Tout cela pour dire qu’on a pris beaucoup trop de temps à se réveiller avant de légiférer et d’encadrer l’industrie du tabac, avec les tristes conséquences qu’on connaît.

Il serait temps d’en faire autant pour ces compagnies, afin de limiter les dégâts.

Car une chose est certaine, les monstres ne se domptent jamais seuls.

Joyeuse Halloween.

(Publié le 26/10/20)

LES MONSTRES

MONSTRES ALIMENTAIRES : MARS

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LA TAILLE DU MONSTRE

Revenus (2019) : 37 G$ US
Profits : inconnus, la compagnie est privée
Employés : 130 000
Marques : 50
Marques connues : Mars, Snickers, M & M
Mais aussi : Juicy Fruit, Life Saver, Uncle Ben’s, Royal Canin, Whiskas

LES ORIGINES DU MONSTRE

Une classique chicane père-fils est à l’origine de l’a bête martienne. En 1923, le père, Frank C. Mars, fait du chocolat dans la ville de Minneapolis et connaît du succès avec les barres Snickers et Milky Way. Le fils, Forrest Edward Mars, considéré comme le mouton noir de la famille, est incapable de s’entendre avec le bonhomme au travail, et sacre son camp en Angleterre avec un peu d’argent afin de prouver qu’il est capable lui aussi.

Avec les moyens du bord, il invente et lance, en 1932, la barre Mars — qui n’est, en fait, qu’une copie conforme de la Milky Way à quelques nuances près — et le succès est fracassant.

Quand le père Frank décède quelques années plus tard, le fils Forrest décide de regrouper toutes les activités martiennes sous une entreprise internationale, créant ainsi une bête qui n’a cessé de prendre de l’expansion depuis.

AUTRES MOUVEMENTS DE LA BÊTE 

+ En 1935, Mars a été une des premières compagnies à pousser les limites logiques de la diversification en achetant Chappel Brothers, une firme britannique qui produit la populaire bouffe à chien « Chappie ». En 2017, le monstre continuait de miser sur minou et pitou en faisant l’acquisition de la chaîne américaine d’hôpitaux vétérinaire VCA pour la modique somme de 9,1 milliards de dollars US.

+ On dit souvent que la technologie développée durant les guerres sert ensuite au peuple ; c’est précisément ce que Mars a fait en 1943 avec son riz à cuisson rapide. Grâce à une technologie développée en Angleterre, dont Forrest a fait l’acquisition, Mars vend du riz pré-cuit à l’armée américaine tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, la bête offre son nouveau produit au peuple, qui arbore désormais le nom et une photo d’un fermier de riz avoisinant afin d’augmenter ses ventes. En 1952, Uncle Ben’s devient le riz le plus populaire au pays. Et le prix supposément payé au fermier pour utiliser sa photo ? 50 $. Oui. Les monstres fonctionnent comme ça. Et cette année, en marge du mouvement Black Lives Matter, Mars a opté de changer le nom de son riz pour « Ben's Original ». C'est déjà ça.

+ En 2008, Mars frappe un coup de circuit en avalant la compagnie Wrigley’s, fabricant de la trôlée de gomme à mâcher qu’on connaît. Valeur de la transaction : 23 milliards de dollars US, preuve encore une fois que le chocolat peut être très, très payant.

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MONSTRES ALIMENTAIRES : MONDELEZ

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LA TAILLE DU MONSTRE

Revenus (2019) : 26 G$ US
Profits (2019) : 3,8 G$ US
Employés : 80 000
Marques : 55
Marques connues (ou pas) : Cadbury, Halls, Clorets, Dentyne, Oreo, Ritz, Tang, Toblerone, Lu

LES ORIGINES DU MONSTRE

Mondelez voit le jour en 2012 quand le colosse Kraft accouche d’un rejeton tout aussi monstrueux afin de mieux différencier ses activités.
Kraft, donc, conservera tous ses produits d’épiceries et vise le marché nord-américain pendant que la nouvelle bibitte se spécialisera à l’international dans les friandises/collations, ou les « snacks » pour utiliser le terme scientifique américain. (On soupçonne aussi qu’il y a sûrement une question sous-jacente d’économiser des impôts dans tout cela, mais on ne peut que spéculer. Évidemment.)
La nouvelle créature au nom latino — Mondelez International — se veut un amalgame de « monde », pour souligner l’emprise planétaire du géant émergeant, et du mot « délicieux » en espagnol… même si son siège social est à Chicago.

AUTRES MOUVEMENTS DE LA BÊTE 

+ En 2016, visiblement affamée, la bête a tenté de gober Hershey, allongeant 23 milliards de dollars US. Le chocolatier américain a mal digéré la manoeuvre, avec une réponse cinglante : « Le conseil d’administration de Hershey a rejeté à l’unanimité l’offre et a déterminé qu’elle ne fournissait aucune base pour une discussion plus approfondie entre Mondelez et le groupe. » Mic drop.

+ Dans le but d’offrir des options plus santé, Mondelez a fait l’acquisition l’année dernière de la compagnie Perfect Snacks, qui fabrique des barres protéinées réfrigérées. Facture : 284 millions de dollars US.
+ En avril dernier, la créature a craché 1,1 milliard de dollars US pour mettre le grappin sur la compagnie canadienne Give & Go, des fabricants de muffins, petits gâteaux, brownies et autres produits de boulangerie, prêts à manger, qu’on peut trouver, notamment, dans vos stations-service préférées, à 2 h 37 du matin quand rien n’est ouvert et que vous êtes sur la route et que vous avez un creux. Par exemple.

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MONSTRES ALIMENTAIRES : Kraft Heinz

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LA TAILLE DU MONSTRE

Revenus (2019) : 25 G$ US
Profits (2019) : 1,9 G$ US
Employés : 38 000
Marques : 200
Marques connues : Ketchup Heinz (évidemment), Philadelphia, Velveeta, Kraft Singles
Mais aussi : Cracker Barrel, Grey Poupon, Planters, Maxwell House, Jell-O, Kool-Aid, Oscar Meyer

LES ORIGINES DU MONSTRE

Kraft et Heinz offraient déjà des produits iconiques, centenaires et omniprésents dans nos vies, notamment du ketchup à base de sucre ou du fromage en tranches qui a presque le même goût quand on le mange avec le plastique dessus.

Mais le (nouveau) monstre qui a vu le jour en 2015 est avant tout un fantasme comptable imaginé par deux firmes d’investissement, soit 3G Capital et Berkshire Hathaway, la compagnie du mage financier Warren Buffett.

En 2013, ces deux firmes d’investissement mettent la main sur Heinz pour la modique somme de 23 milliards de dollars US — décidément, un chiffre à la mode pour les acquisitions — pour ensuite fusionner avec Kraft deux ans plus tard. L’idée était d’effectuer des économies d’échelle, de sabrer les colonnes de dépenses dans des fichiers Excel conjoints et, surtout, d’augmenter la valeur de l’action.
Cinq ans plus tard, avec des ventes et des profits en baisse, le monstre s’est non seulement affaiblit, mais il saigne de partout :

  • + Il y a deux ans, le bête a dû avaler une dépréciation comptable de 15,4 milliards de dollars US, confirmant donc que ses marques « prestigieuses » avaient visiblement moins de valeur que lors de leur acquisition
    .
  • + Kraft Heinz fait même l’objet d’une enquête de la Securities and Exchange Commission pour ses méthodes comptables.
  • + Résultat : l’action de la compagnie, qui valait 96 $ en 2017, s’est écrasée à 31 $.

Il semble que dans leur excitation de créer ce nouveau monstre qui offrait des avantages financiers irrésistibles sur papier, les dirigeants ont oublié ou négligé un détail plutôt important pour toute compagnie alimentaire : offrir des produits que les gens aiment et veulent manger.

AUTRES MOUVEMENTS DE LA BÊTE 

+ En 2017, soit à peine deux ans après sa création et en pleine lancée expansionniste, la bête s’attaque à plus gros qu’elle et fait une offre d’achat rocambolesque pour un autre géant, Unilever, au coût de 143 milliards de dollars US. L’offre est rejetée et la dégringolade de Kraft Heinz commence par la suite.

+ En septembre dernier, le monstre poursuivait sa cure d’amaigrissement en annonçant la vente de ses fromages dits « traditionnels » au Groupe Lactalis, une multinationale française, pour la somme de 3,2 milliards de dollars US. Autrement dit, Kraft Heinz a vendu ses vrais fromages (naturels et râpés) pour se concentrer sur le Velveeta, le Philadelphia et le reste de sa scrap.

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MONSTRES ALIMENTAIRES : PEPSICO

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LA TAILLE DU MONSTRE

Revenus (2019) : 67,16 G$ US
Profits : 7,3 G$ US
Employés : 267 000
Marques : 22
Marques qu’on connaît : Pepsi (et la trôlée de dérivés), Gatorade, Doritos, Lays
Mais aussi : Captain Crunch, Hummus Sabra, thé glacé Lipton, eau Aquafina, céréales Life, Rice A Roni, Aunt Jemima, Quaker Oats

LES ORIGINES DU MONSTRE

C’est à un pharmacien du nom de Caleb Bradham, de la Caroline du Nord, qu’on doit la création de l’éternel rival du Coke.

En 1893, il concocte une boisson à base de sucre, d’eau, de caramel, d’huile de citron, de muscade et d’autres additifs naturels qui est devenue, semble-t-il, une sensation du jour au lendemain.

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Surnommée initialement « Brad’s Drink », son nom sera changé pour Pepsi-Cola, car son créateur veut positionner la boisson comme un produit sain et thérapeutique, qui facilite la digestion. Le mot « Pepsi » vient donc du mot dyspepsie, qui veut dire indigestion. (Concept).

Voyant un marché et une demande croissante pour son produit, Big Brad enregistre le nom Pepsi, se nomme président et procède à une expansion qui franchira le cap des 240 franchisés et des ventes dans 24 États en 1910. Et bien avant Michael Jackson ou Madonna, en 1913, Pepsi amorce sa tradition d’utiliser des vedettes comme porte-parole en misant sur Barney Oldfield, un célèbre pilote de course de l’époque.

Hélas, la Première Guerre mondiale a eu finalement raison de Pepsi sous la direction du beau Brad, alors que la rareté et les prix rocambolesques du sucre l’ont conduit directement à la faillite en 1923. La compagnie, le nom et la recette sont rachetés pour la somme de 30 000 $ et Pepsi prendra son envol monstrueux en changeant de mains plusieurs fois par la suite.

AUTRES MOUVEMENTS DE LA BÊTE 

+ C’est en 1965 que la créature se déploie au-delà des boissons, avec l’achat de Frito-Lay, les fabricants de croustilles, et du coup change son nom d’entreprise pour PepsiCo. Elle avale par la suite une multitude de proies à des coûts exorbitants, dont les jus Tropicana en 1998 (3,3 G$ US) et Quaker Oats en 2001 (13,4 G$ US).

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+ Infatigable, au mois de mars dernier, elle met la main sur la boisson énergisante Rockstar (3,85 G$) en plus de signer un accord pour être distributrice officielle de l’eau Evian au Canada.

+ Finalement, en septembre, la bête a engendré un nouveau rejeton, le « Driftwell », une boisson thérapeutique à base de L-théanine, qui favorise supposément le calme, la concentration et le sommeil, prouvant hors de tout doute qu’on ne sait plus vraiment quoi faire ou inventer pour faire de l’argent.

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MONSTRES ALIMENTAIRES : NESTLÉ

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LA TAILLE DU MONSTRE

Revenus (2019) : 102,3 G$ US
Profits : 15,1 G$ US
Employés : 291 000
# de marques : + 2 000
Marques qu’on connaît : Nescafé, Nestea
Mais aussi : Perrier, Cheerios, Hot Pockets, Gerber, Häagen Dazs, San Pellegrino 

LES ORIGINES DU MONSTRE

L’ahurissant monstre mondial qu’est Nestlé a vu le jour en se gavant de... lait pour bébé. L’Allemand Henrich Nestlé, pharmacien et chimiste (un combo idéal pour l’alimentation, s’il en est un), s’installe en Suisse, se refait un nom à la française, et met au point, en 1867, une formule de nourriture pour bébé gagnante, à base de lait, de sucre et de blé. 

Nestlé ne propose rien de moins que la première préparation pour nourrisson, baptisée « farine lactée », facile à servir, qui a juste besoin d’être bouillie et qui peut remplacer le lait maternel. Le succès est immédiat et sauve littéralement des vies, car le taux de mortalité infantile liée à l’alimentation est très élevé à l’époque. 

Toujours en Suisse, au même moment, la compagnie Anglo-Swiss Condensed Milk Company fabrique — vous l’aurez deviné — du lait condensé qui vise initialement l’Angleterre (d’où le nom de la firme), mais développe par la suite des produits très similaires à ceux de Nestlé. 

Si bien qu’après plusieurs années de compétition féroce auprès du même public cible, les deux sociétés font, en 1905, ce que toutes les entreprises intelligentes et responsables font : elles cessent de rivaliser inutilement entre elles et unissent leurs efforts pour faire encore plus d’argent.

Pour la nouvelle compagnie Nestlé, cela sera le début sans fin de son expansion et d’une série d’acquisitions.

AUTRES MOUVEMENTS DE LA BÊTE 

+ Une tendance de diversification santé se dessine chez ce monstre avec la création, en 2010, de « Nestlé Health Science », une filiale qui se concentre sur « l’avancement du rôle de la thérapie par l’alimentation », ce qui est quand même ironique venant des gens qui nous ont donné le Nestlé Quick. Mettons. Dans la même veine, au mois d’août dernier, Nestlé a payé 2,6 milliards de dollars US pour faire l’acquisition de Aimmune Therapeutics, une compagnie pharmaceutique se spécialisant dans la fabrication de traitements contre les allergies aux arachides.

+ Si vous pensez encore que la publicité ne fonctionne pas, sachez que pour nous faire avaler ses produits tous azimuts, Nestlé a dépensé 7 milliards de dollars US en 2018. On comprend mieux comment elle a pu se payer George Clooney dans ses pubs de Nespresso.

+ Finalement, en plus de manger du Nestlé, on en respire aussi un peu à notre insu. En effet, la bête suisse détient 30 % de L’Oréal avec deux de ses représentants qui siègent sur le conseil d'administration de la firme française.

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