Avec l’aide de notre chef Patrice Gosselin, on se penche sur une question existentielle qui a un impact majeur sur notre destin culinaire au quotidien, soit : quelle poêle utiliser dans notre cuisine ? À vrai dire, on n’a pas vraiment de mérite, la question nous a été lancée par courriel par la tenace et perspicace Ôde depuis un petit bout déjà, donc on s’est dit qu’on ferait d’une pierre deux coups en vous présentant un dossier spécial qui tentera de faire le tour de la question, mais sans y répondre directement. On espère quand même que cela peut vous aider, car comme tout le monde sait, les poêles ne sont pas éternelles.

LES FABRICANTS DE POÊLES
FONT DES AFFAIRES D'OR

Un peu comme pour les automobiles et les souliers de course, le prix des poêles peut fluctuer de façon parfaitement ridicule et les résultats ne sont garantis que si l’on sait vraiment s’en servir (et encore). Il y a une panoplie de facteurs qui entrent en ligne de compte pour justifier le prix d’une poêle. Primo, il y a le matériel utilisé. Le cuivre ou l’acier inoxydable étant plus dispendieux que l’aluminium, attendez-vous à une différence de prix marqué que vous pourrez souvent détecter au poids. Truc : si les veines de vos biceps font des spasmes à répétition lorsque vous faites votre sauté asiatique, c’est que vous avez une poêle de qualité. (Et surement du bon crédit aussi). Si vous êtes du genre que tout ce que vous touchez en cuisine devient or, cela tombe bien, il y a aussi la marque italienne de Baldassare Agnelli qui offre des batteries de cuisine plaquées or dans un beau catalogue de 292 pages en ligne. Le prix pour une petite casserole débute à 1500 $ US.

Puis il y a le nombre de plis d’une casserole, c’est-à-dire les couches de métal utilisées qui varient normalement entre 3, 5 et 7 pour les plus dispendieuses. Et il y a aussi la confection elle-même : la poêle est-elle façonnée par un artisan forgeron hellénique borgne, barbu et torse nu battant le fer chaud à mains nues sur un feu endiablé, dans une petite île perdue dans la mer d’Égée (on exagère à peine) ou votre poêle a-t-elle été assemblée dans une usine en Chine lors de la récréation ?

Et finalement, comme l’a si bien démontré ce petit alligator vert qui repose discrètement sur les chemises et t-shirts, il y a toujours la marque qui peut influencer, à tort ou à raison, le prix.

Tous ces facteurs nous amènent à une inévitable conclusion : l’industrie des casseroles est tellement devenue une énorme business qu’on estime franchir le cap des 4,6 milliards $ en 2024. Question de mettre les choses en perspective, c’est deux fois le produit national brut de la République centrafricaine. Des fois, il y a des données qui laissent carrément bouche bée.

LES CHOSES À RETENIR
AVANT DE CHOISIR VOTRE POÊLE

Plus que le prix, le métal, le look, ou la poignée ergonomique et aérodynamique de votre poêle, notre chef propose de faire un examen de conscience avant de faire son choix.

« Il faut parfois se regarder dans le miroir et se dire les vraies affaires. Par exemple, je ne suis pas toujours douillet avec mon équipement, confie-t-il, sans toutefois rentrer dans les détails. C’est pour cette raison que je n’investis jamais une fortune ridicule dans une batterie de cuisine. Je sais qu’elle finira inévitablement par s’user rapidement. »

Deuxièmement, il ne faut pas nécessairement se fier au prix et aux grandes marques fancy pour obtenir des résultats.

« Par exemple, j’ai remarqué que ma bonne vieille poêle The Rock fait encore le travail quand il s’agit de saisir des aliments et je l’utilise exclusivement pour cette tâche ingrate. »

Et puis, sous-jacent à tout cela, il y a aussi la question fondamentale : est-ce que vous cuisinez tant que cela ? « Si la cuisine est une corvée pour vous, ou si vous mettez les pieds dans la cuisine moins souvent que dans une bibliothèque publique, il n’est peut-être pas nécessaire d’hypothéquer l’avenir de vos enfants pour acheter une poêle ou une batterie de cuisine. »

Finalement, il y a la sensation de la poêle en main, que notre chef suggère de tester en magasin en simulant des mouvements, quitte à faire jaser autour de soi.

« Une poêle, c’est un peu comme des souliers de course, c’est l’outil de base qu’on va utiliser presque tous les jours, explique notre chef. Il est tout fait logique de l’essayer, de voir le feeling qu’elle procure, si on se sent à l’aise avec. Je n’achèterai jamais une poêle en ligne avant de l’avoir en main. Un peu comme un disque de Kathleen. »

TRUCS ET CONSEILS DE
NOTRE CHEF POUR VOS POÊLES

Restons calme avec le feu : On a tous cette tendance de vouloir tout faire cuire ou sauter rapidement, à la plus haute température possible, la pédale dans le tapis en hurlant du Golden Earring à tue-tête.
« C’est la pire chose à faire, surtout si vous utilisez la populaire poêle antiadhésive, souligne notre chef. Vous verrez qu’à la longue, ce type de cuisson fera non seulement décoller la surface, mais fera aussi en sorte de retrouver des mini-particules dans votre bouffe, ce qui, comme vous verrez plus tard, n’est pas nécessairement une bonne chose. »
Ce que recommande notre chef : « Oui, allez-y avec la chaleur au maximum pour saisir ou colorer vous aliments, mais pitié, baissez rapidement votre feu par la suite pour cuire ou mijoter. Vos poêles vous diront merci. Et votre famille aussi. »
Nettoyer prudemment : Règle générale, on veut éviter de récurer nos poêles avec une éponge trop abrasive ou agressive. Truc : si, lorsque vous frottez, il y a des flammèches qui sortent de l’évier, vous y allez peut-être un peu raide. « Pour chaque type de surface, il existe le bon équipement de nettoyage. » Aussi, on se permet de vous rappeler que si vous êtes devant une tâche plutôt coriace de nettoyage, vous pouvez toujours remplir la poêle d'eau bouillante et la laisser tremper la nuit. Vous pouvez du même coup la glisser dans les draps de vos enfants pour réchauffer leur lit en hiver. C’est magique.

Utiliser des outils appropriés lors de la cuisson : « Ai-je vraiment besoin de vous dire de ne pas utiliser des instruments en métal pour brasser vos préparations dans une poêle ? Que cela peut massacrer la surface ? Que cela va inévitablement l’achever prématurément ? C’est ce que je pensais. » Bref, le bois est toujours une valeur sûre comme outil en cuisine.

LES DANGERS DES POÊLES

Parlant de poêle antiadhésive, on sait qu’elle est devenue, à cause de son prix peu élevé et sa praticité, un incontournable dans la cuisine ; des mots comme T-fal et Téflon sont désormais connus aux quatre coins du globe — ce qui n’est malheureusement pas une bonne chose.
Car ce produit antiadhésif inventé par les génies de la compagnie 3M et utilisé à profusion par la compagnie DuPont — l’acide perfluorooctanoïque (communément appelée PFOA en anglais ou encore C8) — est un produit synthétique qu’on retrouve sur tout ce qui nous entoure : emballages pour fast food, vêtements imperméables genre Gore-Tex, boîtes à pizza, sacs à maïs soufflé pour micro-ondes, tapis, soie dentaire et, malheureusement, poêles en Téflon. Pourquoi malheureusement ? Parce qu’une minuscule présence du produit peut causer le cancer du rein et des testicules, des maladies de la thyroïde, un taux de cholestérol élevé, ou encore, des malformations à la naissance.
Cette triste histoire à rendre malade et qui a fait des ravages aux États-Unis a fait l’objet d’un premier article dans le New York Times en 2016, puis d’un documentaire à vous glacer le sang intitulé The Devil We Know en 2018.
Plus récemment, l’excellent film intitulé Dark Waters, avec Mark Ruffalo, retraçait cette incroyable histoire et la saga juridique de la plus grande contamination à l’échelle humaine qui a commencé par ce produit miracle que nous avons tous côtoyé à un moment dans nos cuisines : la poêle en Téflon.
En effet, selon une analyse de 2007 des données fournies par les Centers for Disease Control, le C8 est dans le sang de 99,7 % des Américains, et se retrouve également chez tous les animaux qui ont été testés par des scientifiques — même les ours polaires.
En 2015, DuPont a finalement arrêté d’utiliser le C8, le remplaçant par un nouveau produit jugé sécuritaire du nom de Gen-X, qui est fabriqué par une toute nouvelle société au nom poétique, Chemours, qui a été créée en 2015... par DuPont. Disons que cela n’inspire pas trop confiance.
Pour ce qui est des autres alternatives métalliques, si possible, éviter les poêles en métaux singuliers, du genre en fonte, en aluminium ou encore en cuivre. En fait, il y a deux facteurs à considérer : est-ce que le métal vient directement en contact avec la nourriture ? Et est-ce que vous utilisez cette poêle tous les jours ? Si les deux réponses sont oui, il serait peut-être préférable de regarder pour une autre option. Pourquoi ? On laisse le Dr Neal Barnard vous expliquer.

(Publié le 18/04/2021)