LA PATATE

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Textes,  recherches et montage : Stephane Banfi
Trucs et astuces : Patrice Gosselin
Illustration : Cynthia Ross

Le début d’une nouvelle année est toujours l’occasion idéale pour conjuguer le temps passé avec l’avenir : il est impératif de bien réfléchir à son présent, reconnaître qu’on est imparfait, pour mieux apporter des petits ajustements, aussi simples soient-ils, pour améliorer son futur. Fin de la conjugaison.

Et justement, afin d’illustrer comment ce sont souvent les petites choses qui ont ce pouvoir insoupçonné de transformer nos vies, pour cette première infolettre de l’année (enfin !), on a cru bon vous proposer un nouveau segment qu’on intitule « Ces plantes qui ont changé le monde  » où on décortique comment certains aliments ont chamboulé nos vies, au quotidien et globalement. En se faufilant dans nos assiettes au fil des siècles, ces plantes ont eu un impact profond sur notre histoire et nous aident à mieux comprendre le présent — même si cela n’explique toujours pas les grands mystères de la vie comme le Cheez Whiz et les pantalons en pattes d’éléphant.

Donc, pour ce volet inaugural, on commence avec une vedette incontournable de nos accompagnements gastronomiques qu'on célèbre en cette semaine de la poutine qui vient de prendre fin : la patate.

Et comme si ce n’était pas déjà assez, pour démarrer 2024 en force, on vous propose également une superbe illustration originale de notre artiste-horticultrice préférée, Cynthia Ross, qui se joint à nous pour la série.

Bonne lecture, bon appétit, bonne année — dans l’ordre que vous voulez.

1. LA PATATE VIENT D'AMÉRIQUE DU SUD

Frite, sautée, au four, en robe de chambre, pilée — on peut tout faire avec la patate, même de la vodka et un jouet un peu primitif, merci. Mais ce n’est pas surprenant, car ce fabuleux tubercule, qui nous vient des hauts plateaux des Andes en Amérique du Sud, était déjà très prisé, puisqu’on le cultivait il y a de cela près de 10 000 ans. Et avec raison, car la patate était le iPhone du temps avec ses nombreuses applications : en plus d’être une excellente source de nourriture (on y reviendra), on s’en servait comme remède contre les maux de tête, pour faire briller son argenterie ou encore apaiser un coup de soleil. Elle était même une forme d’horloge primitive, alors que les Incas utilisaient son temps de cuisson pour mesurer le temps.
(Sans compter que la patate a une durée de vie nettement plus longue qu’une Apple Watch.) Malgré tout, la pomme de terre reste plutôt circonscrite à cette petite région montagneuse éloignée, jusqu’à ce que des « agents de destruction massive » — les conquistadors — y mettent les pieds en 1536 et décident de la ramener en Europe, avec des tonnes d’or et plusieurs autres « souvenirs de voyage », il va de soi. De là, la patate continue son petit bonhomme de chemin pour finalement arriver en France au 18siècle où elle se heurte à un public plutôt sceptique. Mais c’était sans compter la détermination d’un certain pharmacien français, dont le nom deviendra éventuellement synonyme de tout ce qui est patate.

2. LA PATATE A FAIT L'OBJET DES PREMIÈRES CAMPAGNES DE MARKETING 

Antoine-Augustin Parmentier est pharmacien militaire et pendant la guerre de Sept Ans de 1756 à 1763 (pour laquelle on aurait pu franchement se forcer un peu afin de trouver un meilleur nom), il est capturé à cinq reprises et est fait prisonnier par les Prussiens, ce qui en dit long sur les capacités des pharmaciens au combat.

Alors qu’il moisit de façon intermittente dans un sombre donjon au « Club Slav », on le force à bouffer des patates. Et encore des patates.

Car il appert que les Prussiens, qui avaient déjà été décimés par la famine, ont rapidement reconnu son apport nutritif exceptionnel ; le 24 mars 1756, le roi Frédéric II le Grand y est allé d’un édit royal — rien de moins —, pour ordonner à ses sujets de cultiver la pomme terre.

« Là où se trouve une place vide, la pomme de terre devra être cultivée », peut-on y lire. Visiblement, le Grand Fred n’était pas du style gazon.

Parmentier, une fois libre pour de bon, reviendra enchanté et inspiré par la patate, mais surtout, vivant, ayant réussi à subsister sur une bouillie de pomme de terre pendant de longues périodes.

Si bien qu’à son retour en France, il se donne comme mission de prouver aux Français les bienfaits du noble tubercule. Et il y voit surtout un aliment unique qui pourrait aider à atténuer la famine qui ravage régulièrement le pays.

Mais côté popularité, son projet fait plutôt patate, la population demeurant largement froide et insensible aux charmes de notre boule de glucides préférée.

On la soupçonne d’être empoisonnée, car elle est, après tout, de la même famille que la tomate et le tabac, les redoutables solanacées, qui sont associées à la sorcellerie. Au mieux, on la sert aux animaux. Puis, des idées de génie : Parmentier demande au roi de planter un champ de patates exclusif pour usage royal, sur un terrain clôturé, placé sous haute surveillance jour et nuit par des gardes armés. Toutefois, il donne comme consigne aux gardiens de laisser le petit peuple curieux et envieux voler tout ce qu’il veut du jardin. On organise aussi de somptueux banquets qui mettent en vedette la pomme de terre auprès de VIP notables, comme Benjamin Franklin et Thomas Jefferson (qui pourrait l’avoir ramenée aux tout nouveaux States sous forme de frite). Et même le roi Louis XVI utilise la délicate fleur de patate à sa boutonnière, pendant que sa reine, Marie-Antoinette, se la glisse aux cheveux, pour impressionner et faire tendance — avec un résultat, disons, plutôt tranchant.

Vous devinez la suite : le peuple est graduellement convaincu qu’il s’agit d’une denrée noble et précieuse (« Non, mais oh, j’ai déjoué LES. GARDIENS. DU. ROI. pour cette putain de purée, alors on la bouffe, tu piges ? »), et la patate se répand comme une traînée de poudre. Et avec raison, car comme les Prussiens et les Incas l’avaient si bien saisi auparavant, sa valeur nutritive est tout simplement extraordinaire.

3. LA PATATE EST VRAIMENT BONNE POUR VOUS 

Avec des expressions comme « faire patate » et « grosse patate », on peut dire que la pomme de terre n’a pas vraiment bonne presse.

En fait, la patate est un peu la drag queen des légumes ; on l’apprécie beaucoup, même si on a souvent tendance à y aller un peu fort côté habillage et accoutrements.

Crème sure, sauce brune gluante et montagne de fromage, flaques de ketchup, pépites de bacon ou friture intense dans une huile suspecte — la patate est vraiment victime par association.

Mais à la base, tout comme Parmentier l’avait découvert lors de ses cinq séjours en Airbnb forcé en Prusse, elle est un véritable trésor nutritif avec plusieurs avantages, qu'on avait déjà  identifiés il y a un siècle. 

Primo, il y a l’arsenal de nutriments qu’elle contient : elle est une bonne source de vitamine C, elle contient aussi du potassium, magnésium, manganèse, phosphore, de la vitamine B6, de la fibre, même des protéines ! — pour ne nommer que ceux-là.

Tenez-vous bien : comme nous révélait le Dr Neal Barnard du Physicians Committee for Responsible Medecine sur son balado récemment, une grosse patate à elle seule contient plus de protéines… qu’un oeuf.

Et puis il y a également tout ce qu’elle n’a pas : la patate n’a pas de gluten, ce qui en fait une pièce gastronomique de choix pour tous les gens souffrant d’intolérances, elle est très faible en gras et sans cholestérol (si vous ne la noyez pas dans du beurre, il va de soi). Sans surprise, une étude de 2022 publiée dans le Journal of Nutritional Science a démontré que « la consommation de pommes de terre (frites ou non frites) chez les adultes en bonne santé n'est pas associée à un risque accru de diabète de type 2,  d'hypertension ou d'élévation des taux de triglycérides. »

En boni, elle a aussi de nombreux antioxydants qui peuvent, par exemple, réparer les dommages causés par les radicaux libres aux cellules vieillissantes. Et de nombreuses études ont démontré qu’elle possède un index de satiété très élevé, ce qui aide à réguler la faim et fait qu’on mange moins.

Avec tous ses avantages exceptionnels, la question se pose : est-ce qu’on peut vivre simplement de la patate ?

4. UN AUSTRALIEN N'A PAS LÂCHÉ LA PATATE PENDANT UN AN ET A PERDU 120 LIVRES 

En 2016, Andrew Taylor, un sympathique colosse australien de 6 pieds 5 pouces et 334 livres a un moment de lucidité : il se rend à l’évidence qu’il est complètement accro à la bouffe, dépendant de la malbouffe et constamment victime de fringales irrépressibles.

Même s’il est végane — un « junk food vegan », de son propre aveu —, il est tout simplement incapable de maintenir son poids et de résister à l’envie de manger.

Et pour en rajouter une couche, ce jeune père d’un garçon de deux ans est aussi prédiabétique et cliniquement déprimé.

« J’avais perdu espoir, explique-t-il dans plusieurs entrevues qui ont fait le tour du monde. Ma santé mentale n’était vraiment pas bonne, j’étais très déprimé et anxieux. Et quand j’ai réalisé que mon fils allait sûrement être comme moi, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. »

Il décide donc de prendre les grands moyens pour résoudre le problème à la source.

« Si un alcoolique doit lâcher l’alcool, peut-être qu’un food addict devrait abandonner la nourriture », tranche-t-il.

Enfin presque.

Il passe six semaines à faire des recherches à la fois historiques et scientifiques pour peaufiner un régime axé sur l’abstinence, et décide finalement de limiter ses repas, pour la prochaine année, à un seul et unique aliment : la patate.

« Ce n’est pas quelque chose que mon médecin aurait recommandé, mais il m’a appuyé et il m’a suivi tout le long. »

Un an donc à ne manger que des patates, matin, midi et soir, pilées, sautées, grillées.

Après deux semaines, il en avait déjà assez.

« J’étais écoeuré, mais je suis passé à travers. Il y a eu un déclic mental. Est-ce que je veux manger une patate ou est-ce que je veux être un mauvais exemple pour mon fils ? »

Taylor a donc enduré et perduré, en se permettant occasionnellement de garnir ses patates avec quelques herbes et épices, et l’ajout de lait de soya pour ses purées. Avec de l’eau et un supplément de vitamine B12, son régime parmentier extrême n’a pas tardé porter fruit.

« Après deux mois, j’avais le sentiment de mission accomplie. Mais j’ai décidé de finir ce que j’avais commencé. »

Les résultats parlent d’eux-mêmes et sont époustouflants. Il a perdu 120 livres. Sa dépression et son diabète sont chose du passé. Ses douleurs aux articulations ont disparu. Son cholestérol et sa pression ont chuté. Bref, absolument tout s’est amélioré, sans aucune carence alimentaire, si bien qu’il a lancé un site web — Spud Fit — et des livres de recettes afin d’aider les gens à en faire autant.

Depuis, il s’est servi de son régime Russett extrême comme tremplin pour maintenir une alimentation saine à base de produits entiers, incluant une diversité de fruits et légumes, des grains, noix et légumineuses — et encore et toujours des patates.

« La patate m’a sauvé la vie », conclut-il.

Mais la patate en a aussi fauché.

Par millions.

5. LA POMME DE TERRE EST À L'ORIGINE D'UNE DES PLUS GRANDES FAMINES 

Si vous vous demandez pourquoi la fête de la Saint-Patrick est si populaire partout en Amérique du Nord et pourquoi presque chaque grande ville nord-américaine possède un « Irish Pub », c’est en grande partie à cause de la patate.

En 1845, l’Irlande est sous la gouverne britannique; 95% de ses terres appartiennent aux Anglais et plus d’un tiers de sa population subsiste au quotidien en cultivant et mangeant presque exclusivement des patates. Pourquoi ? Il appert que la pomme de terre est un des seuls organismes — à part les Irlandais — qui peut endurer le rude climat de l’Île verte. En plus, on n’a pas nécessairement besoin de beaucoup de terre pour la cultiver. Résultat : de plus en plus de pauvres Irlandais se tournent vers la patate pour survivre et fonder une petite famille, tout en payant une rente à leur proprio provenant des ventes de leur récolte.

Des lopins de terre sont donc redivisés et reloués à tout un chacun, grâce à une communauté de paysans et laboureurs qui vivent dans des conditions disons « minimalistes », si bien que la population irlandaise explose en près de 50 ans, passant de 4 millions d’habitants en 1781 à 8 millions en 1845 — du jamais vu à l’époque en Europe.

Derrière ce beau succès démographique se cache pourtant une grosse lumière rouge qui flashe : enlever la patate de l’équation et le pays entier s’effondre comme un château de cartes.

Surtout qu’un siècle plus tôt, l’Irlande avait vécu une grande famine qui avait décimé près de 20 % de sa population. La cause ? La température inclémente qui avait dévasté les récoltes de grains et de patates. C’était en 1740. Cent ans plus tard, on avait déjà oublié.

L’été 1845 en Irlande était particulièrement pluvieux et humide. Jusque là, rien d’anormal, puisque le pays est littéralement une île maritime qui doit composer avec les soubresauts de l’océan atlantique.

Certains fermiers constatent toutefois des petites taches brunes suspectes sur les feuilles de leurs plants.

On ne s’en préoccupe pas trop, mais la curiosité tourne à l’horreur au mois de septembre lors de la récolte, quand les patates sont transformées en une bouillie de moisissure noire et infecte.

Le coupable : un champignon microscopique du nom maléfique de Phytophthora infestans — ou mildiou —, venu du Mexique, qui ravage les plants, prend racine dans le tubercule et le noircit, le rendant toxique et indigeste.

L’année suivante, on espère une meilleure récolte comme ce fut souvent le cas après une année difficile. Mais après un été prometteur et des champs verdoyants, le mildiou massacre tout en l'espace d'une semaine.

Un célèbre réformateur catholique du nom de Père Mathew, lors de son passage en Irlande de Cork à Dublin, a vu les plants de patates « fleurir dans toute la luxuriance d’une récolte abondante ». Cinq jours plus tard, il est revenu pour trouver « une vaste étendue de végétation en putréfaction ».

Au bord de leurs parcelles en décomposition, les gens assis en train de pleurer et de se tordre les mains creusent la terre pour trouver quelques patates mangeables. Désespérés, certains se tournent vers la mer pour subsister, mangeant algues et fruits de mer crus.  La famine et le fléau de maladies qu'elle engendre comme le typhus et le choléra foudroient les habitants par millions et les villages irlandais ont des airs d’apocalypse zombie.

Comme écrivait un Anglais de passage au village désert de Skibbereen le 17 décembre 1846 lorsqu’il entra dans une maison pour y découvrir :

« … six squelettes affamés et affreux, apparemment morts, recroquevillés dans un coin… Je m’approchai avec horreur et découvris qu’ils étaient vivants, poussant de faibles gémissements, qu’ils avaient la fièvre — quatre enfants, une femme et ce qui avait été un homme… En quelques minutes, j’ai été entouré d’au moins 200 de ces fantômes, de ces spectres effrayants qu’aucun mot ne peut décrire. » 

Face à ce désastre humanitaire, que fait le gouvernement britannique ?

Le premier ministre Robert Peel (qui nous a donné le nom d’une rue, d’un métro et d’un pub à Montréal) a pris du temps à réagir au drame, doutant même de l’ampleur de la catastrophe.

« Les rapports irlandais ont une telle tendance à l’exagération et à l’inexactitude qu’il est toujours souhaitable d’attendre avant d’y donner suite », déclare Mister Peel.

Il se tourne éventuellement vers l’importation de grains des États-Unis pour nourrir la population… ce qui crée un tollé chez les producteurs de grains locaux qui misaient toujours sur le protectionnisme et voyaient désormais le gouvernement abaisser les prix. Pire, quand Peel change les lois pour avoir plus de marge de manoeuvre sur l'importation, son gouvernement tombe. 

Le gouvernement inaugurera aussi des travaux publics pour tenir tout ce monde occupé, employant près de 700,000 Irlandais  — adultes, enfants et vieillards — souvent pour des projets jugés inutiles, dans l'optique de les faire gagner un peu de sous. Mais cela n’en met pas plus dans leur assiette.

En juin 1847, un programme de soupe populaire voit enfin le jour et nourrit environ 3 millions de personnes par jour, mais le gouvernement abandonne l'initiative dès l'automne, lorsque le mildiou est disparu des champs.  La même année, on met également fin au programme de travaux publics; le gouvernement décide plutôt de remédier au désastre en taxant les propriétaires qui sous-louent leurs terrains aux familles frappées par la famine.

Résultat : les proprios — majoritairement des Anglais, rappelons-le  — jettent un demi-million de pauvres gens affamées à la rue afin d’éviter de payer la taxe. (Tous ensemble : B.R.A.V.O.)

Pour vous donner une idée de l'ampleur du désastre, l'année 1847 est désormais surnommée Black '47 en Irlande.

Car il y a une incohérence cruelle qui n’échappera pas à l’histoire durant cette tragédie : pendant cette misère incommensurable, on continue d’exporter du grain et du boeuf irlandais vers l’Angleterre… pendant que les gens crèvent de faim. 

La réalité est que le gouvernement britannique a adopté largement une attitude de « laissez-faire » face à la catastrophe, mettant sa confiance dans les lois du marché pour régler le problème (un refrain qui est malheureusement familier, sauf quand la misère frappe les riches — évidemment).

Vous l’aurez deviné, sous cette famine se cache le spectre d’un autre fléau tout aussi dévastateur et ravageur : le racisme. Car l’Irlande n’était pas le seul pays aux prises avec son agresseur microscopique. La Belgique (qui a aujourd'hui un Musée de la frite), la France et même l’Angleterre ont connu les ravages du mildiou. Mais dans chacun de ces pays, les gouvernements sont intervenus de façon musclée pour aider la population, en limitant les exportations ou encore distribuant des denrées aux démunis. 

Pendant ce temps, le nouveau responsable du dossier de la famine au sein du gouvernement britannique, Charles Treveyan, déclarait :

« Le véritable mal auquel nous devons faire face n'est pas le mal physique de la famine, mais le mal moral du caractère égoïste, pervers et turbulent du peuple... Le jugement de Dieu a envoyé cette calamité pour donner une leçon aux Irlandais. »

En fin de compte, on estime qu’un million d’Irlandais sont morts de faim, plus de deux millions ont émigré, la plupart dans des conditions atroces, avec des milliers de morts largués en mer.

La population de l’Irlande ne s’en est jamais remise, oscillant aujourd’hui aux alentours des 5 millions.

Et la langue du pays à l’époque, le gaélique, est devenue presque oubliée.

En 1997, le premier ministre britannique, Tony Blair, a d’ailleurs présenté des excuses voilées au peuple irlandais :

« Those who governed in London at the time failed their people through standing by while a crop failure turned into a massive human tragedy. We must not forget such a dreadful event. »

 

Tout cela, certes, parce qu’on a mis toutes ses patates dans le même panier. 

Mais plus que tout, ce fabuleux tubercule, crémeux et délicieux, nous a rappelé de façon cruelle et brutale une réalité qui se perpétue encore trop souvent aujourd’hui : la misère des uns ne doit jamais bousculer l’appétit vorace des autres.

5. TRUCS ET ASTUCES DE NOTRE CHEF PATRICE GOSSELIN 

  • Pour éviter que vos patates brunissent, mettez-les dans l’eau une fois épluchées. Vous pourrez même les mettre dans un bol, au frigo, pour utilisation ultérieure. Quand vous serez prêt à les cuisiner, c’est vous le boss.
  • Pour faire une belle purée de patates, coupez tous vos morceaux de patates en format moyen, environ de la même taille. Disons grosseur « balle de golf ». Mais carré. (Dheuuu). Donc, pas en petits morceaux. Sinon, votre purée sera gorgée d’eau et le résultat sera plus que décevant.
  • Les patates adorent le sel. Lors de la cuisson pour la purée, par exemple, n’hésitez pas à en mettre une belle quantité dans l’eau. Genre, tu penses qu’il y en a assez ? BEN NON. Vas-y encore.
  • Choisir le bon type de patate pour ce que vous souhaitez cuisiner. En frites ? Purée ? Au four ? Plusieurs variétés sont disponibles, et habituellement leur usage principal est maintenant écrit sur les sacs. Fun.
  • Vous pouvez garder la peau des patates dans certaines recettes. Ou pas. C'est  vraiment vous qui décidez mais la peau contient quand même plein de bonnes choses pour la santé.
  • Explorez le spectre des couleurs avec la patate. Orange. Mauve. Jaune. Cela vous fera du bien.
  • Finalement : un secret. La patate jaune (Yukon Gold) reste ma préférée. Elle fait la job pour toute. toute. toute. Vraiment.
Publié : 8/02/2024

LE MICROBIOME

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Textes, recherches et montage: Stephane Banfi

Sauf si vous êtes un personnage du film Alien ou si vous avez déjà été enceinte, vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’on a tous, à différents degrés, des corps étrangers qui vivent à l’intérieur de nous. Partout en fait. Et par milliards. Oui milliards. Et ces bibittes microscopiques, qui se cachent un peu partout sur et dans notre corps, jouent un rôle crucial dans plusieurs aspects de notre santé, y compris la digestion, l’immunité et la santé mentale — entre autres. Cette semaine aux Explorateurs culinaires, on vous propose un voyage fantastique dans le monde du minuscule qui relève de la science-fiction, afin de tenter d’élucider cette flore et cette faune mystérieuses qui nous habitent et qui nous veulent du bien, au coeur de nombreuses récentes découvertes stupéfiantes sur le fonctionnement de notre corps : le microbiome. On plonge dans l’univers du petit en compagnie du Dr Irah King, directeur du Centre de recherche sur le microbiome de l’Université McGill.

Malgré tous les bains floraux à la lavande que vous prenez, vous n’y échapperez pas : nous avons partout sur nos beaux corps, et particulièrement dans notre gros intestin, l’équivalent microscopique de la forêt de l’Amazonie, avec tous ses arbres, plantes, créatures et insectes qui pullulent et se multiplient constamment, ce qu’on appelle communément le microbiome. À vrai dire, on retrouve une panoplie de microorganismes partout sur notre corps et surtout dans nos orifices (quelle belle image), mais disons que LE party de bibittes par excellence se déroule dans notre gros intestin.

« Par exemple, on retrouve des trillons — 10 exposant 14 — de bactéries dans un gramme de matière fécale. Alors vous pouvez imaginer combien de bactéries vivent dans notre intestin, qui est de la longueur d’un terrain de tennis », explique le Dr King, qui est aussi immunologue.

On y retrouve entre 300 et 500 espèces de bactéries, certaines étudesparlent de plus de 800 — les chiffres varient —, des champignons, des êtres vivants constitués de cellules uniques qu’on nomme des archées et même des virus.

« C’est incroyablement varié, mais les dernières études disent que nous avons autant de cellules de bactéries que de cellules humaines dans l’intestin. »

Côté génétique toutefois, l’humain possède entre 20 000 et 25 000 gènes, alors qu’on trimbale dans nos tripes 3,3 millions de gènes microbiens.

On prend une petite pause, pour bien saisir.

C’est donc dire que sur le plan purement mathématique (et génétique), nous ne sommes pas, techniquement, humains.

« Ce n’est pas une chose à laquelle on pense quand on se lève le matin », avoue le Dr King.

Par contre, cela aide enfin à expliquer le beau-frère.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Afin de garantir sa survie et sa lente évolution, l’être humain a dû façonner un monde microbien intérieur pour l’aider à mieux survivre, tout comme il a dû s’adapter et vivre en harmonie avec le monde vivant extérieur — chose qui n’est pas toujours évidente quand on se promène sur le boulevard Taschereau en janvier, on en convient.

« Les bactéries étaient là avant nous, et le microbiome est vraiment une propriété de notre co-évolution. Nous avons appris à vivre en présence de nos bactéries et les bactéries ont appris à nous coopter ou à nous utiliser comme riches sources d’énergie », explique le Dr King.

La « start-up » initiale de notre microbiome, qui sera unique en son genre, nous provient avant tout de maman ; la théorie bien établie est que nous l’obtenons à la naissance alors que notre mère accouche.

« Il a été suggéré que les bébés nés par césarienne pourraient être plus susceptibles de développer des allergies et de l’asthme, mais nous avons encore besoin de plusieurs années d’études pour en avoir le cœur net. »

Autre élément hyperimportant pour peupler notre univers intérieur : le lait maternel.

« Le lait maternel a un effet énorme. Il contient son propre microbiome, mais aussi de nombreuses autres fonctions qui peuvent modifier la structure du microbiome. »

Le lait maternel est à ce point important qu’en plus de contenir des protéines essentielles, des gras et des vitamines, il est composé de sucres complexes qui ont, en fait, un seul but : favoriser la croissance des bonnes bactéries chez bébé.

Puis, au fil des ans, notre microbiome évolue, se multiplie et se transforme, tout dépendant de notre environnement ou de notre exposition aux antibiotiques qui peuvent détruire des colonies de bonnes bactéries d’un seul coup. Règle générale, plus nous sommes exposés à jouer dehors, dans la terre, avec des animaux, à se coller la langue sur des poteaux gelés (peut-être pas), plus notre microbiome s’épanouit. Et puis, évidemment, il y a tout ce qu’on mange.

Le système digestif de votre fabuleux corps est, en grande partie, un immense tube éponge qui, de la bouche jusqu’à l’anus, n’a qu’un seul objectif : sucer, saper et absorber le plus de nutriments de ce que vous vous balancez dans le gosier toute la journée pour ensuite redistribuer tout ce dont vous avez besoin pour maintenir votre beau beachbody en santé et vous donner de l’énergie pour votre cours de spinning à 19 h 30 les mercredis.

Cela commence donc par la bouche. Cela se poursuit dans l’estomac puis tout le long de l’intestin grêle (ou le petit intestin, même s’il mesure en moyenne sept mètres) avec l’aide du pancréas et du foie. Et finalement, juste quand votre corps a terminé d’absorber tous les vestiges de votre dahl, les restes sont expédiés vers le gros intestin, où des pelotons de bactéries, perchés par millions le long de l’enveloppe muqueuse de votre côlon, attendent patiemment pour prendre votre matière fécale d’assaut, comme des ados se lançant sur un buffet chinois, en hurlant collectivement : « WO. On n’a pas fini. »

Et c’est là que le microbiome opère sa magie.

« Le microbiome joue un rôle crucial dans la décomposition des aliments que nous mangeons et nous aide à en absorber les nutriments. Au fil du temps, il nous aide également à développer notre système immunitaire », explique le Dr King.

Mais comment ?

Oui, cette belle faune nous aide à terminer de digérer et de « processer » des aliments que nous serions autrement incapables d’assimiler. Mais il y a une condition importante : contrairement à vos ados, ces créatures ne mangent pas n’importe quoi.

En fait, les études démontrent que deux catégories d’aliments sont plutôt essentielles à leur bon fonctionnement : la fibre et les aliments fermentés.
C’est d’ailleurs pour cela qu’on nous répète ad nauseam que « la fibre favorise le transit intestinal » ; la fibre — des molécules qui composent la structure des fruits, légumes, grains, noix et légumineuses — est en soi indigeste et passe donc notre système digestif sans réclamer 200 $, jusqu’à ce que notre microbiome s’en mêle et s’en nourrisse.

Lorsqu’elles sont bien nourries, ces bactéries produisent des acides gras à chaîne courte qui nous aident à optimiser notre système immunitaire, mais aussi notre sommeil, notre humeur ou même l’obésité. En effet : « Si vous prélevez un échantillon de matières fécales d’une personne obèse et que vous l’administrez à une souris, il la fera grossir. Le microbiome modifie donc l’ensemble de notre métabolisme et la façon dont nous digérons, absorbons et exploitons l’énergie des aliments. »

L’équipe du Dr King a même décelé les effets du microbiome sur la douleur (vous avez bien lu) et a réussi à réduire la douleur chez des femmes atteintes de fibromyalgie, une maladie encore inexpliquée qui provoque une souffrance constante et généralisée, grâce à une transplantation… fécale provenant de patients en santé.

« C’est une des plus belles histoires que nous avons sur le microbiome, avoue-t-il d’emblée. Les résultats sont très préliminaires, mais il semble que cela améliore leur sensibilité à la douleur. »

Donc, plus on maintient ces bibittes fortes et en santé et on garde une variété diversifiée de microbes, plus notre système immunitaire semble prompt, capable et « entraîné » à répondre à des maladies, comme si le fait d’avoir de bonnes bactéries fortes et florissantes nous prédisposait à mieux lutter contre des bactéries ou virus nocifs.
« Je ne veux pas dire que le microbiome est le seul facteur qui peut guérir ou causer une maladie, je pense vraiment qu’il y a aussi une composante génétique , ajoute-t-il. Mais je pense que la raison pour laquelle le microbiome touche à tout est que le système immunitaire est le seul système capable d’entrer et d’avoir un impact sur tous nos tissus, en passant par l’intestin, où il est éduqué. »

Tout comme l’humain a un effet dévastateur sur son environnement, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’au fil des ans, on a eu la même touche magique sur notre espace intérieur.
Les résultats ne se quantifient pas en tornades, feux de forêt ou ouragans — quoiqu’on sait tous qu’une poutine Michigan all-dress avant de se coucher peut causer tous ces effets — mais plutôt dans la baisse de diversité de notre microbiome. La cause principale ? La malbouffe, les produits ultra-transformés, le gras et tout ce qui est pauvre en fibre.
Comme le confirme le Dr King sans hésitation : « Le régime alimentaire que nous suivons va certainement affecter notre microbiome. »
D’ailleurs, lorsqu’on demande au docteur une recommandation toute simple pour garder son microbiome en santé, il semble un peu mal à l’aise de la simplicité de sa réponse.

« Je pense qu’il est presque décevant de ma part de dire qu’il faut avoir un régime alimentaire varié comprenant beaucoup de fruits et de légumes », admet-il.

À ce sujet, quelques études pour appuyer ses propos :

  • + Les chercheurs du American Gut Project (qui a été rebaptisé The Microsetta Initiative) ont trouvé que les personnes qui mangeaient 30 types de plantes différentes ou plus par semaine avaient des microbiomes plus diversifiés que ceux qui n’en mangeaient que 10 ou moins par semaine.
  • + Lors d’une récente étude menée auprès de 1425 personnes aux Pays-Bas, les chercheurs ont conclu que les personnes avec un régime alimentaire riche en aliments transformés et en aliments gras d’origine animale présentaient des niveaux plus élevés de bactéries destructrices qui produisent des toxines nuisibles à l’intestin.

Par ailleurs, pendant que la fibre aide à maintenir le microbiome en santé, des scientifiques de l’Université Stanford ont découvert que les aliments fermentés, comme la choucroute, le kéfir ou le kimchi, ont été beaucoup plus efficaces pour augmenter sa diversité.

« Les aliments fermentés sont un domaine en plein essor. Il ne s’agit pas seulement de manger des aliments fermentés en général, mais de savoir quels types d’aliments présentent le plus d’avantages, car ils nourrissent certaines bactéries appelées lactobacilles dans notre intestin, qui peuvent non seulement produire des acides gras à chaîne courte, mais aussi réguler notre métabolisme et induire d’autres propriétés anti-inflammatoires », ajoute le Dr King.

Mais une des études les plus éloquentes sur le sujet demeure celle effectuée sur le microbiome de la tribu des Hadza, en Tanzanie, qui, comme vous vous en doutez, ne vit pas dans un bungalow de banlieue et ne se balade pas en VUS. En fait, les Hadza sont des nomades vivant encore comme des chasseurs-cueilleurs, se nourrissant principalement de baobab, miel, tubercules, fruits et viande sauvage, le tout sans jamais utiliser de carte AirMiles.

Avec très peu d’accès à la médecine moderne, ils n’en ont curieusement pas trop besoin, du moins, beaucoup moins que d’autres habitants du nord de la Tanzanie. La raison ?
Le microbiome des Hadza est nettement différent de celui des habitants des pays industrialisés, avec une plus grande diversité — certaines bactéries étaient jusqu’ici inconnues ! — et une plus grande stabilité, qui sont des facteurs clés de la santé du microbiome. Même par rapport aux Italiens carburant au régime méditerranéen, dont on fait l’éloge, les Hadza avaient une plus grande variété microbienne.

Les chercheurs ont aussi trouvé un autre élément intéressant : le microbiome des Hazda changeait, de façon cyclique, suivant les saisons et selon ce qu’ils trouvaient à se mettre sous la dent.

Ce qui soulève la question :

À ce sujet, on se permet une parenthèse pour partager une expérience fascinante de 2015 qui a révélé l’impact majeur qu’avait l’alimentation sur notre microbiome, son évolution et ses effets sur notre santé.

Des chercheurs de Pennsylvanie ont pris deux groupes de 20 hommes, âgés de 40 à 65 ans.

Le premier groupe était composé d’Afro-Américains qui habitaient Pittsburgh, où le taux de cancer colorectal est assez élevé, soit 1 adulte sur 1 500. Le deuxième groupe venait d’un petit village d’Afrique du Sud, à KwaZulu plus précisément, où le cancer colorectal est pratiquement inexistant. (Au Canada, le cancer colorectal est la deuxième principale cause de décès par cancer chez l’homme et la troisième chez la femme.)

Pendant deux semaines, on a donc suivi les repas des deux groupes et constaté que l’apport en protéines et graisses animales était deux à trois fois plus élevé chez les Américains. Les glucides et la fibre étaient plus populaires chez les Africains, ce qui n’est pas surprenant, puisque les Américains carburaient aux saucisses et crêpes pour déjeuner, des hot-dogs et spaghettis à la viande le midi et rosbifs et patates pilées le soir. Du côté africain, on misait nettement plus sur le végétal, avec, par exemple, des épinards et poivrons au déjeuner, des tranches de mangue et une salade de kale pour le lunch, et une salade de patates africaines au souper.
Après deux semaines, les chercheurs ont fait une analyse approfondie du microbiome des deux groupes pour identifier la flore intestinale. À la colonoscopie, des polypes ont été trouvés et retirés chez neuf Américains… mais aucun chez les Africains. Et sans tomber dans les termes techniques — que vous trouverez ici —, les Américains avaient de l’inflammation et de la prolifération de muqueuses, qui sont associées à un risque de cancer.

Puis, coup de théâtre : les deux groupes se sont échangé leur bouffe. Pendant les deux semaines suivantes, les Africains se sont mis aux steaks et saucisses, et les Américains ont plongé dans le végétal.

En seulement 14 jours, le microbiome de chaque groupe s’est complètement transformé, comme une mutation magique outre-mer d’un groupe à l’autre, avec tous les avantages et risques qui s’ensuivent. Remarquablement, le changement a réduit les taux de prolifération et de risque chez les Afro-Américains à des niveaux inférieurs à ceux des Africains au départ, alors que les taux ont augmenté chez les Africains à des niveaux supérieurs à ceux des Afro-Américains au départ.

Et tout cela, en deux petites semaines.

Quels autres secrets se cachent dans le microbiome ?

Pour mieux percer et élucider ses mystères, l’équipe du Dr King à l’Université McGill a créé deux outils ou plateformes (pour utiliser un terme populaire) : la première est essentiellement animale, constituée de souris complètement stériles et génétiquement identiques, que son équipe peut par la suite coloniser de bactéries afin d’en mesurer l’effet.

« Nous pouvons donc évaluer directement l’influence de ces microbes sur tout ce que nous voulons savoir chez l’animal : fonction cardiaque, fonction cérébrale, fonction pulmonaire, fonction hépatique, fonction intestinale, fonction immunitaire, développement d’une maladie ou protection contre celle-ci. C’est vraiment la référence absolue de la recherche sur le microbiome. »

La seconde plateforme lui permet d’analyser des échantillons de matière fécale en laboratoire, pour plonger dans la structure moléculaire du microbiome, et tenter d’identifier son ADN, pour mieux comprendre le fonctionnement de tout ce qui vit dans nos intestins. Et aussi, de cultiver des bactéries similaires en étudiant leur fonctionnement.

« En cultivant une bactérie et en lui donnant des conditions de croissance différentes, nous pourrons peut-être constater que ces deux bactéries qui semblent identiques en termes de séquence génétique fonctionnent en fait différemment. »

Car pour le Dr King, il ne s’agit pas simplement de savoir quelle bactérie fait quoi, mais aussi d’identifier comment chaque soucheinteragit avec les autres.

« En réalité, nous devons comprendre comment les bactéries interagissent avec nous, mais aussi comment elles interagissent entre elles. Et ce que nous ne comprenons pas encore, c’est comment les bactéries s’appuient les unes sur les autres et communiquent au sein de cette communauté pour avoir un impact sur nous. »

L’arrivée de l’intelligence artificielle ouvre soudainement des possibilités incroyables sur notre capacité de mieux comprendre ce rôle complexe de ces milliards d’organismes.

« Nous devons profiter de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique pour être en mesure de générer des algorithmes permettant de résoudre ces problèmes biologiques extrêmement complexes. Et je peux vous dire que la science que je pratique aujourd’hui est complètement différente de celle que je pratiquais il y a dix ans. »

Tout cela laisse donc présager un avenir pas si lointain où la médecine pourrait devenir hyperpersonnalisée, ou un médicament pourrait être développé et ajusté selon le microbiome d’un patient, pour s’assurer qu’il fonctionne mieux.

Lorsqu’on lui parle de l’avenir du microbiome, le Dr King est assez catégorique : « Mon travail ici est sans fin. »

Des milliers de milliards de bactéries. Que l’on peut coloniser. Étudier avec l’intelligence artificielle. Cultiver en labo. Que l’on s’échange avec des échantillons de selles. Qui communiquent entre elles. Et qui s’unissent pour lutter contre des maladies. Il n’y a pas à dire, on nage en pleine science-fiction.

« Oui, conclut-il. Jusqu’à tant que cela soit de la science. Et plus de la fiction. »

(Publié le 3/11/23)

L’ENTREVUE SÉRIEUSE AVEC MICHAEL MOSS

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L'ENTREVUE SÉRIEUSE AVEC MICHAEL MOSS:

Si une de vos résolutions en 2022 est de mieux manger — mais que vous êtes tout simplement incapable de déguster une poignée de Doritos sans voir le fond du sac trois minutes plus tard, les deux poignets orange et l’estomac noué de honte —, vous serez peut-être content d’apprendre que vous n’êtes pas seul. Et surtout, que vous n’êtes peut-être pas si responsable que ça de votre appétit vorace et compulsif pour la bouffe transformée.

Dans son plus récent livre intitulé Hooked : Food, Free Will, and How the Food Giants Exploit Our Addictions, l’auteur et journaliste d’enquête du New York Times Michael Moss a plongé pendant cinq ans dans le ventre de la bête du monde de la nourriture transformée.

« Je pense qu’en général, ils auraient préféré que je ne sois pas né, explique-t-il de sa relation avec les gens de l’industrie. Mais je pense qu’en bout de ligne, ils ont trouvé que le livre était dur, mais juste. J’aime à penser que le livre se lit comme un roman policier, je ne prêche pas, je m’infiltre dans les entreprises et j’explique, à l’aide de leurs propres documents et entretiens, avec leurs propres employés, comment elles procèdent. »

Le résultat est à la fois fascinant et effrayant, et selon lui ne laisse plus de doute : « Après mon travail sur Hooked, j’ai complètement changé d’avis, je suis absolument convaincu qu’à certains égards, leurs produits sont encore plus puissants que les cigarettes, l’alcool et l’héroïne dans la mesure où ils utilisent notre propre biologie contre nous pour détruire notre volonté et notre capacité de prendre de bonnes décisions. »

Aux Explorateurs culinaires cette semaine, on vous propose donc un entretien avec M. Moss, sur ses découvertes et ses conclusions, et sur cet irrésistible poison qu’est la malbouffe qui, rappelons-le, représente un marché de 2 billions de dollars sur la planète.

 

1. POURQUOI LEURS
PRODUITS SONT-ILS SI ATTIRANTS ? 

Dans son premier livre, Salt Sugar Fat : How the Food Giants Hooked Us,sorti en 2013, Moss avait abordé le sujet de la « Sainte-Trinité » des ingrédients utilisés par l’industrie alimentaire pour les rendre irrésistibles, soit le sel, le gras et le sucre. Réunis, ils créent un attrait quasi insurmontable pour nos cerveaux. Selon Moss, il s’agit certes d’un facteur important qui rend leurs produits si séduisants, mais il y a plus.

« Il y a aussi le marketing, parce qu’ils sont très forts pour trouver et toucher ces boutons émotionnels qui nous poussent à manger alors que nous n’avons même pas faim. Et finalement, ils ont trouvé des moyens d’exploiter notre nature fondamentale, les choses qui nous attirent vers la nourriture, qu’ils sont capables d’exploiter, de capitaliser et de retourner contre nous d’une manière qui n’est pas bonne pour notre santé.»

Pour résumer le phénomène, Moss cite la psychologue et neuroscientifique de Yale, Dana Small, qui a aussi travaillé à l’Université McGill : « Je pense qu’elle a très bien résumé la situation lorsqu’elle a dit que ce n’est pas tant que nous soyons dépendants de la nourriture — bien sûr que la nourriture est addictive, sinon nous ne mangerions pas et nous mourrions de faim —, c’est que la nature de notre nourriture a été modifiée de façon si radicale par ces entreprises que notre capacité génétique à composer avec n’a pas eu le temps de la rattraper. »

En plus des ingrédients, de la publicité, de la texture et de la couleur des aliments, les compagnies ont rapidement réalisé l’importance d’un autre facteur pour nous accrocher à leurs produits : la mémoire.

« Nos souvenirs entourant la nourriture sont très puissants, surtout quand on est enfant, quand nous mangeons quelque chose pour la première fois et que c’est bon. En goûtant, nous allons associer cela avec les autres aspects émotionnels du moment. Coca-Cola et Pepsi ont travaillé dur pour être dans les stades de baseball sachant que s’ils pouvaient mettre une boisson gazeuse dans les mains des enfants quand ils étaient avec leurs parents dans ce beau moment d’être à un match de baseball, ce soda sera à jamais associé à ce sentiment émotionnel. »

2. CE N’EST PAS TOUT LE MONDE QUI EST ACCRO. MAIS...

Cela dit, on connait tous quelqu’un qui est capable de dire non, ou qui peut certes flancher devant des chips à saveur « Roast beef mesquite » un soir devant la télé, puis ne plus en retoucher pendant des mois. De son propre aveu, Moss et sa famille se considèrent comme chanceux, ils sont capables de modération.

« Mais il est clair que certaines personnes ne peuvent pas se contenter de manger quelques biscuits Oreo ou une pizza surgelée une fois par mois.»

Pour ces gens, il est carrément préférable d’éviter ces produits, ce qui n’est pas toujours facile.

«J’ai rencontré des personnes qui ne peuvent pas toucher un grain de sucre sans perdre le contrôle. Pour eux, faire les courses c’est comme aller dans un champ de mines parce qu’il y a du sucre partout dans l’épicerie, dans les produits, c’est vraiment difficile.»

 

3. LES GOUVERNEMENTS NE PEUVENT PAS FAIRE GRAND-CHOSE 

Mais les statistiques démontrent clairement que nous sommes de plus en plus incapables de résister à ces produits. Les dommages collatéraux de la malbouffe se font en effet sentir aux quatre coins de la planète, avec une épidémie d’obésité mondiale qui fait des ravages, y compris ici où l’obésité et l’embonpoint touchent plus de 4 millions de Québécois. 

Afin de responsabiliser l'industrie, en 2003, Jazlyn Bradley et Ashley Pelman, deux jeunes femmes du Bronx, ont tenté de poursuivre McDonald’s pour leur obésité, mais le juge a rejeté la plainte, marquant un tournant dans le débat. Mais comme le relate Moss d’entrée de jeu dans son livre, par la suite, le lobby de l’industrie s’est immédiatement activé dans plusieurs États américains, aboutissant au Commonsense Consumption Act, une loi qui interdit désormais de tels futurs recours en justice dans 25 États.

Depuis, certaines villes comme Berkeley en Californie, penchent vers une taxe sur les boissons sucrées. D’autres pays comme le Chili, le Mexique ou la France, avec son Nutri Score, ont imposé un système d’étiquettes sur les produits pour aider les gens à prendre des décisions plus éclairées. Moss demeure sceptique face à ces initiatives.

« Le seul danger, c’est que ces entreprises sont très douées pour concevoir un produit qui pourrait leur donner le feu vert sur le devant de l’étiquette, mais qui n’est toujours pas un vrai aliment et qui n’est peut-être toujours pas vraiment bon pour vous de quelque manière que ce soit. Je pense donc que ce type d’intervention gouvernementale est un jeu qu’elles peuvent tourner à leur avantage. »

Pour ce qui est d’une intervention gouvernementale plus musclée, Moss ne croit pas aux résultats, surtout après le succès mitigé de l’initiative « Let’s Move » de Michelle Obama en 2010 qui avait fait de l’alimentation une priorité nationale aux États-Unis.

« Elle a travaillé très fort, mais elle n’a pas réussi à provoquer de véritables changements dans l’industrie alimentaire. En partie parce que les entreprises sont si puissantes et représentent tellement d’emplois et que le président Obama était confronté à une situation financière désastreuse lorsqu’il est entré en fonction. De sorte que tout ce que les entreprises auraient eu à faire est de dire “Regardez, vous allez perdre 10 000 ou 100 000 emplois en faisant cela.” Je ne suis donc pas très optimiste quant à l’intervention du gouvernement, je pense que cela doit venir de la base, par le biais de l’éducation, pour que nous exigions un réel changement et que cela se traduise par des décisions d’achat. Si les compagnies subissent une pression dans les épiceries en termes de ventes, ce sera incroyablement alarmant pour elles et elles changeront. »

Autrement dit, l’industrie n’est pas prête à chambarder une formule gagnante, à moins que cela ne soit payant. Une anecdote savoureuse dans le livre illustre bien ce propos : en 2007, Steve Yach a été embauché par Pepsi afin d’entreprendre un virage santé dans la panoplie de produits que la compagnie offrait. Après une rencontre avec le PDG sortant afin de discuter de sa nouvelle vision, ce dernier a ouvert un sac de Doritos et l’a vidé sur la table.

« Tu dois accepter que la rentabilité provienne de ceux-ci pendant un certain temps », lui a-t-il rappelé.

4. IL FAUT PARLER D’ALIMENTATION DANS LES ÉCOLES ET LES HÔPITAUX 

Parlant d’éducation, deux endroits où Moss voit une opportunité de changement sont les écoles et les hôpitaux.

«Oh ! mon Dieu, absolument ! Si j’étais roi pour un jour, chaque école aurait un jardin. Pas seulement pour nourrir les enfants, mais aussi pour les exciter pour des choses comme des radis. Et ensuite, chaque quartier aurait un magasin qui vendrait des radis frais. Chaque communauté aurait accès à des exploitations agricoles locales, et il y aurait des serres dans les régions du pays où il n’est pas possible de cultiver des légumes et des fruits frais, dont tous les nutritionnistes disent que nous devrions manger davantage.»

L’effet domino se traduirait par des produits frais plus abordables, même dans les déserts alimentaires.

«Certes, il y a dix choses qui doivent se produire, mais il est essentiel de commencer par la prochaine génération et de leur enseigner ce qu’est de la nourriture et la relation de notre corps avec les bons aliments. »

Pour ce qui est des hôpitaux, il voit là une occasion perdue de faire une réelle différence dans la vie des gens.

« Je pense que les médecins en formation commencent à s’intéresser à la nutrition. Mais c’est encore quelque chose d’assez nouveau. C’est tellement une occasion ratée d’aider les gens à s’informer sur l’alimentation lorsqu’ils sont à l’hôpital. Imaginez que vous êtes à l’hôpital, que vous arrivez, qu’ils vous sauvent la vie dans une salle d’urgence, puis que vous êtes hospitalisé. Pensez à ce moment-là si un nutritionniste pouvait venir et vous enseigner la valeur incroyable de la nourriture et vous apprendre comment faire les courses et préparer la nourriture? Mais le système de santé est tellement stressé par les problèmes immédiats de vie ou de mort que les soins préventifs à long terme lui sont plus difficiles. »

1. CE QUE NOUS RÉSERVE L’AVENIR 

L’industrie alimentaire a toujours été à l’affût des nouvelles tendances, c’est une des raisons qui a poussé Heinz à mettre la main sur Weight-Watchers en 1978 — afin de profiter « des deux côtés ». Moss remarque qu’elle se mobilise en ce moment sur plusieurs fronts pour mieux répondre à nos préoccupations alimentaires. Réduction de sel, de sucre et de gras en manipulant leurs produits. Réduction de produits chimiques ou d’ingrédients à consonance effrayante. Limite de 4 ou 5 ingrédients par produit.

« Ou encore, elles répondent à notre souhait de manger bio en ajoutant des mots comme “naturel” sur leur emballage — qui ne veut absolument rien dire. »

Les compagnies veulent aussi développer des aliments personnalisés, selon notre profil génétique. Comme l’écrivait un ancien dirigeant de Nestlé dans le livre Nutrition for a Better Life en 2016 : « À l’aide d’une capsule semblable à celle de Nespresso, les gens pourront prendre des cocktails de nutriments individuels ou préparer leur nourriture via des imprimantes 3D en fonction de recommandations de santé enregistrées électroniquement. »

Rien de rassurant quoi.

Mais un des plus grands changements mise sur une réduction — ou plutôt une substitution — du sucre.

« Les entreprises commencent à utiliser des édulcorants artificiels non caloriques, non seulement dans les boissons, mais aussi dans les produits alimentaires de tout genre, et parfois en combinaison, explique Moss. Vous voyez donc des puddings, des pains, des chips et d’autres produits contenant des édulcorants non caloriques, parfois naturels, parfois artificiels, et cela pourrait être une tendance inquiétante, car la science ne sait pas encore ce que ces produits font à notre cerveau et à notre intestin. »

À cet effet, le livre explique que des chercheurs d’Australie et d’Autriche ont mené une étude conjointe sur des mouches de fruits, en ajoutant un édulcorant artificiel populaire — le sucralose — à leur nourriture, pour voir quel effet il aurait sur leur comportement. Résultat : les mouches ont perdu la tête, ne pouvaient plus dormir, avaient un appétit insatiable, mais n’engraissaient pas pour autant, car elles étaient soudainement hyperactives.

« Dans l’ensemble, résume Moss, la tendance qu’on observe est que l’industrie essaie très fort de paraître mieux qu’elle ne l’est vraiment. »

Finalement, tout au long de ses recherches, Moss a remarqué une autre tendance qui en dit long sur l’ensemble de l’industrie.

« J’ai été frappé par le nombre de cadres supérieurs qui ont changé de camp, conclut-il. Non seulement ils ne mangent pas leurs propres produits, mais ils ont compris qu’ils sont allés trop loin, que nous sommes devenus trop dépendants. Les problèmes de santé causés par leurs produits sont si graves qu’ils ont quitté l’industrie des aliments transformés et travaillent maintenant pour de vraies entreprises alimentaires, en essayant de les aider. »

Textes et recherches: Stephane Banfi
(Publié le 01/02/2022)

OLIVIER SUR TERRE

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Avant que les grands froids nous fassent carrément oublier toutes les merveilles qui peuvent jaillir de ces quelques arpents de neige, nous saluons la petite révolution agricole qui balaie le Québec  en vous proposant un court documentaire original de 10 minutes — réalisé par Stephane Banfi et Laurianne Tremblay, et avec une musique originale de notre chef Patrice Gosselin de surcroît — qui en dit long sur l’histoire d’un homme et de sa passion, sur nos choix, nos choux et le chemin qu’il nous reste à parcourir.

10 LÉGUMES-FEUILLES POUR PIMPER VOTRE SALADE

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Feuilles de laitue. Tomates. Oignons verts. Huile. Vinaigre. Sel. Poivre.

Contrôle C, Contrôle V.

Si cela résume assez bien votre concept d’une salade estivale, on se permet cette semaine de partager une liste secrète qui vous aidera à sortir des sentiers battus, avec 10 légumes-feuilles pour vous aider à rehausser ou à pimper votre salade (pour utiliser un terme technique). Parce que rappelez-vous, une salade, c’est un peu comme un cabanon : on peut vraiment mettre n’importe quoi dedans.

10 LÉGUMES-FEUILLES POUR PIMPER VOTRE SALADE

Pour une laitue avec du caractère, du torque, rien ne bat la scarole. Croquante, frisée, légèrement amère — mais pas trop —, elle se mange crue ou même cuite. Utilisée parcimonieusement, elle rehaussera n’importe quelle salade, sans toutefois en prendre le contrôle. Car la scarole a le mérite de connaître sa place, de ne jamais s’imposer et, surtout, de ne jamais nous désappointer.

Lober de la roquette dans une salade est comme lui donner une nouvelle dimension, de la profondeur, du temps en bouche, de la hauteur. Pimentée et envoûtante, on vous suggère de bien la doser, car tout aliment qui est connu sous le nom de Rocket peut facilement créer des dommages collatéraux. Techniquement, la roquette n’est pas une laitue, mais plutôt un membre de la prestigieuse famille des crucifères et contient donc une panoplie de composés qui auraient des propriétés anticancéreuses. C’est une tenace vivace à la multiplication miraculeuse, alors si jamais vous êtes aux prises avec des plants de roquette envahissant dans votre jardin, n’hésitez surtout pas à en faire du pesto.

Les choux de Bruxelles sont un peu comme Gregory Charles — on aime, ou on n’aime pas. Mais si on ne savait pas qu’on les mangeait ? « Les choux de Bruxelles se mangent crus », nous confie notre chef Patrice Gosselin. « Vous n’avez qu’à les couper très, très finement et les parsemer dans une salade. Ils ajouteront du crunch et de la texture. »

Délicate et tendre, la mâche est aussi connue sous le nom de doucette — ce qui en dit long sur son goût de noisette. Laitue aux petites feuilles délicates qui ressemblent presque à des pétales, son contenu en bêta-carotène équivaut à 75 % de celui d’une même quantité de carottes, prouvant encore une fois qu’on ne doit pas toujours se fier aux apparences.

Tout le monde sait que le kale est king. Mais si on le transforme volontairement en chips au four ou on le broie à répétition pour nos smoothies, on est plutôt réticent à l’accepter tel quel dans nos salades. Avant tout parce que c’est un dur à cuire qui nous fait mâchouiller un peu trop. « Faites mariner quelques feuilles de kale dans une vinaigrette pendant une trentaine de minutes avant pour l’attendrir », nous suggère notre chef. « Ou pour les paresseux comme moi, 30 secondes au micro-ondes feront le travail. »

S’il y a une plante qui aurait une cause à porter devant les tribunaux de la Cour internationale de justice de La Haye pour discrimination végétale, c’est bien le pissenlit. Voyons voir. Oui, le pissenlit ajoute une merveilleuse pointe d’amertume dans toutes vos salades. Mais il y a plus. Ses propriétés médicinales ont été reconnues pendant des siècles par des médecins arabes, par les tribus autochtones comme les Iroquois et les Ojibwés ou encore par les Chinois. Une étude de 2006 confirmait les vertus antioxydantes, anticancéreuses et antidiabétiques de ses composés. Et ses fleurs jaunes resplendissantes favorisent la pollinisation et nourrissent les abeilles au printemps alors qu’il manque souvent de fleurs. Logiquement, face à cette feuille de route resplendissante, nous avons développé une industrie chimique toxique pour démoniser et pulvériser le pissenlit, et le cibler comme l’ennemi public numéro un de nos beaux gazons verts qui ne servent absolument à rien. Oui, son nom qui souligne ses propriétés diurétiques ne l’aide sûrement pas. L’anglais « dandelion » est beaucoup plus noble même s’il provient, ironiquement, du français « dents-de-lion » qui fait référence à ses feuilles édentées. Finalement, si vous vous êtes déjà demandé comment sa belle fleur jaune se métamorphosait magiquement, du jour au lendemain, en une belle boule de plumes légères et éphémères, eh bien, heureusement, il y a une vidéo pour cela. Et une fois pour toutes, laissez donc le pissenlit tranquille.

De la même famille que le pissenlit, le radicchio s’en est mieux tiré, sans doute grâce à sa belle couleur rouge violacé, sa rondeur et sa similitude au chou. Mais méfiez-vous, le radicchio n’est ni chou ni laitue, et son goût amer et prononcé ainsi que sa couleur vibrante en font un précieux ajout à n’importe quelle salade. « On vous suggère donc de le hacher finement ou à la mandoline japonaise avant de l’incorporer dans vos salades », nous recommande notre chef.

On le sait, l’endive est parfaite comme petit récipient comestible, cute et fancy,pour y déposer un pâté ou un tartare. Mais l’endive à son état pur et simple est tout aussi délicieuse et a le mérite d’ajouter du croustillant dans une salade avec une fine pointe d’amertume qui ne déstabilisera pas pour autant vos invités. Légumes qu’on fait pousser volontairement dans la noirceur pour leur donner leur couleur pâlotte, vous pouvez également hacher les endives finement ou, pour vraiment épater la belle-mère, les faire griller ou sauter dans de l’huile d’olive auparavant.

On termine avec des rejetons qui, franchement, méritent un meilleur sort. Primo, les fanes de rabioles. Si vous ne connaissez pas la rabiole, c’est un peu le nom de scène du navet blanc ou du navet d’été, qui a un goût à la fois piquant et sucré. Ses feuilles, qui se retrouvent tristement dans le compost, sont pourtant tout aussi délectables bouillies, cuites à la vapeur ou même crues, mélangées dans une salade composée, pour ajouter un peu de piquant et de pizzaz. Idem pour les feuilles de betteraves qui, subtilement incorporées dans une salade, donneront de la couleur et de la vie à votre plat, mais aussi généreront un goût mystérieux de… betteraves, prouvant hors de tout doute que le goût du rejeton n’est jamais bien loin du trognon.

Textes et recherches : Stephane Banfi
Publié le 12/07/2021

LES FINES HERBES

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Cette semaine aux Explorateurs culinaires, on profite pleinement de notre passage au vert avec un hommage aux fines herbes. On partage des informations sur quelques-unes de ces merveilleuses petites plantes qui agrémentent nos vies, ainsi que quelques trucs pratiques et conseils pour faire durer le plaisir toute l’année.

LE PERSIL

Herbe sous-estimée et rabaissée à un rôle purement ornemental, le persil est en fait très puissant. Il est non seulement riche en antioxydants qui aident à lutter contre le cancer, mais il contient une trôlée de vitamines. À titre d’exemple, une demi-tasse de persil, soit 30 grammes, fournit 108 %de l’apport quotidien en vitamine A et 547 % en vitamine K — ou peut-être un peu moins, si on tient compte de celui qui restera pris entre vos dents. Notre chef en profite pour vous livrer quelques trucs sur cette merveilleuse herbe. Et si vous avez des champs de persil verdoyant à n’en plus finir dans votre jardin et que vous redoutez de le voir s’affaisser à l’automne, sachez que le persil, un peu comme Walt Disney, résiste et se conserve très bien au froid. Un autre truc infaillible qui nous vient cette fois-ci de Nonna Bellucci : toujours avec vos doigts de fée, détacher délicatement les feuilles de persil des tiges. Les laver et le sécher comme avec un linge. Puis, bien entasser/paqueter les feuilles une par-dessus l’autre dans un pot de verre ou de yogourt, avec un couvercle, que vous garderez judicieusement fermé au congélateur. Au besoin, pour vos sauces, soupes ou mijotés, vous n’aurez qu’à puiser dans votre persil en grattant la surface avec une fourchette. Magie.

LE THYM

Quand une herbe a autrefois été brûlée dans un temple sacré (Grèce) ou a été utilisée pour embaumer des momies (devinez), elle mérite tout notre respect. Sans compter que le thym vient sous 400 différentes formes, a des pouvoirs antibactériens et contient aussi une pléiade de vitamines et de minéraux. Et en plus, il a un arôme particulier et un goût envoûtant que certains poètes ou adolescents québécois n’hésiteraient pas à qualifier de « débile ». Mais plus que tout, le thym est coriace et vivace, c’est-à-dire : il sait prendre sa place et revient chaque année plus fort, comme les taxes et Carey Price. Alors, n’hésitez surtout pas à saupoudrer vos plates-bandes — et vos plats — de thym, vous serez récompensé d’un tapis aromatisé irrésistible. Puis, quand viendra le temps de s’en servir, si vous n’avez pas la dextérité ou la patience pour en détacher les feuilles minuscules, notre chef chaman Patrice Gosselin vous confie son secret : « Parce que je suis foncièrement paresseux, je n’aime pas perdre mon temps à tirer sur chaque tige pour enlever les feuilles de thym. Alors ce que je fais souvent, c’est que je prends plusieurs branches, et je les hache directement sur ma planche, et j’arrête à l’endroit où la tige est plus ferme. » Comme dirait si bien Ti-Mé : « Thym Toé ».

LA FLEUR D'AIL 

Bon, on sait que techniquement, il ne s’agit pas d’une herbe, mais si vous faites pousser votre ail dans le jardin vous aurez sûrement remarqué ces belles tiges courbées qui jaillissent soudainement de vos plants, avec une grâce et une finesse insoupçonnée, un peu comme les Canadiens en séries de la Coupe Stanley. Primo, si vous souhaitez pleinement profiter de ces belles fleurs d’ail, il faut absolument les décapiter avant qu’elles ne durcissent trop et prennent trop d’envergure (communément appelée la méthode « Henri VIII »). Cela permettra au plant de se concentrer sur l’autre extrémité, prouvant que des fois, il est bon de perdre la tête pour mieux prendre son pied. Mais surtout, ne jetez pas ces fleurs ! Ces merveilleuses tiges peuvent servir en cuisine, comme rôties au four par exemple, dans la recette de chimichurri de notre chef, ou encore, vous pouvez en faire un délicieux pesto. Simplement les laver, les mettre dans un robot culinaire avec de l’huile d’olive, un peu de sel, des noix de pin et ajuster la texture à votre goût en dosant l’huile. Puis, vous n’avez qu’à transvider le pesto dans des petits pots Mason, couvrir d’huile et les garder au frigo. Vous aurez ainsi de l’ail liquide à votre disposition, en tout temps.

LE BASILIC 

Le basilic est un peu le top modèle des fines herbes ; il n’a pas vraiment besoin de présentation, tout le monde le connaît et il sent bon. Mais le basilic est aussi très sensible, a besoin de beaucoup de chaleur et, surtout, il réagit mal aux grands bouleversements. Oui, tout le monde sait qu’il est l’ingrédient principal du pesto (ou du pistou pour les Gaulois). Mais si vous aimez avoir de belles feuilles de basilic fraîches à portée de main, dans votre cuisine, à longueur d’année, vous pouvez toujours remplir votre lavabo de cuisine de terreau et en planter. Ou vous pouvez aussi cueillir des feuilles de basilic quand elles sont à leur apogée, les laver, les sécher, puis les enfiler délicatement dans un sac Ziploc, retirer le plus d’air possible avec une paille (sans trop s’époumoner) et garder le sac au congélateur. Elles conserveront miraculeusement leur vert — euh — verdoyant et seront prêtes à être utilisées à toutes les sauces. Littéralement.

Texte et recherches : Stephane Banfi
Publié le 28/06/2021